L’amour (ou l’argent) en héritage

Le Café Psy du 05.10.17

Qu’évoque pour nous le mot héritage ? Pour certains, il sera synonyme de transmission, d’un patrimoine et/ou d’une histoire, pour d’autres il renverra à des conflits, pour d’autres encore il s’associera à une idée de sécurité future, etc

Parce que nous avons tous des parents et des grands parents, nous sommes tous concernés par cette notion de l’héritage, qu’il soit passé ou à venir, qu’il implique un leg financier, immobilier, ou simplement quelques objets souvenirs. Et tous nous aurons un jour des biens matériels, importants ou non, à transmettre.

L’héritage est le fondement même de la famille. Historiquement, c’est sur cette idée de réunion et de transmission des patrimoines que s’est construite l’institution du mariage.

Pourquoi cet événement, ce don, si naturel et universel provoque-t-il tant de bouleversement lorsqu’il survient ? Pourquoi se révèle-t-il si fréquemment source de guerres fratricides ou de crises personnelles ?

Parce que, avec ou sans frères et soeurs, avec ou sans testament, hériter revient souvent à dresser un bilan aussi bien matériel qu’émotionnel de la relation avec le défunt.

En premier lieu, l’héritage, par définition, survient toujours après le décès d’un proche. Et cela a plusieurs implications.

Un évènement toujours signifiant

D’abord, nous sommes en deuil, parfois même en état de choc. Autrement dit, en grande fragilité. L’héritage convoque notre rapport à la mort, au passage du temps et des générations. Encore plus lorsqu’il s’agit du dernier de nos parents puisqu’alors, nous devenons « le prochain sur la liste ».

Parfois, nous n’avons pas pu, de son vivant, résoudre tous nos conflits avec le ou la disparu(e). La charge symbolique de l’héritage prend alors une dimension qui dépasse de très loin les enjeux matériels. Récemment, une publicité pour une voiture montrait deux frères chez le notaire après la mort de leur père. L’un héritait de quasiment tout, maison, fortune, avoirs… L’autre, seulement de la voiture. Le premier explosait alors en disant « Je savais bien que tu étais son préféré ! »

Que ce petit scénario ait été imaginé à des fins commerciales ne le rend pas moins juste. L’héritier de la voiture devient dépositaire de ce qui compte affectivement le plus pour le défunt. Il s’agit d’une transmission d’amour, de confiance.

C’est là la vraie question : de quoi héritons-nous quand nous héritons ?

Une histoire de place

L’héritage questionne notre place dans la famille et convoque de nombreux affects : gratitude et nostalgie comme jalousie, colère ou déception.

Mes parents m’ont-il aimé ? Comment m’ont-ils aimé ? M’ont-ils aimé plus, moins, que mes frères et soeurs ? Que vais-je faire de ce qu’ils m’ont transmis : me l’approprier, le faire mien, le préserver comme une mémoire, ou encore le rejeter ?

La façon dont nous recevons l’héritage matériel de nos parents est conditionnée à l’héritage psychique qui nous a façonné de leur vivant et qui a forgé notre lien avec eux. Si des frères et soeurs réagissent si différemment face à un héritage matériel, c’est justement parce qu’ils n’ont pas reçu le même héritage psychique. L’un se battra pour conserver la maison de famille, l’autre pour la vendre, le troisième pour la transformer. Et peut-être le quatrième laissera-t-il les trois autres décider sans se sentir autorisé à donner son avis. Cela parle de la relation de chacun à l’enfance, aux parents, à la fratrie, aux souvenirs.

L’héritage rejoue les rivalités d’enfant pour l’amour des parents. Et ceci quel que soit la nature de l’héritage. Maison, terrain, objets de valeurs ou non, part d’entreprise, possèdent toujours une charge symbolique et affective. Il est bien rare que le leg ne se résume qu’à une somme d’argent partagée à égalité. Et même dans ce cas, égalité ne signifie pas équité. N’y a-t-il pas un enfant qui a bénéficié de plus d’aide lorsque les parents étaient encore de ce monde ? Celui qui s’est estimé toute sa vie lésé affectivement n’aspire-t-il pas à un rééquilibrage symbolique ? Et le « chouchou » ne revendique-t-il pas, au fond de lui, une suprématie sur les autres, ou au contraire, s’il se sent une fois de plus privilégié, à tort ou à raison, n’en ressent-il pas une intense culpabilité ?

L’héritage devient le signe tangible de l’inégalité. Il permet de parler de la relation aux parents sans la nommer et de libérer d’anciennes rancoeurs.

Tous ses sentiments génèrent beaucoup de culpabilité, voire de honte. Les mêmes honte et culpabilité qui, dans l’enfance, nous plongeaient dans des conflits internes entre amour, haine, envie, jalousie et ressentiment. Etre plus que l’autre, avoir plus que l’autre… Notre image de soi, notre identité, s’en trouve profondément ébranlée.

Réparer sa propre histoire

Un autre écueil des héritages sont les secrets qu’il révèle parfois. Des dettes ou des fortunes cachées, des dons faits à d’autres, des condamnations judiciaires, etc… Comment, face à ces révélations, ne pas se sentir en colère ou bien blessé ? Mais là encore, cela ne parle au fond que de la nature de la relation avec le défunt. Manquait-elle de confiance ou d’intimité ou bien voulait-on nous protéger ?

Nous voyons bien que l’héritage matériel n’est qu’une incarnation de l’héritage émotionnel. Alors comment recevoir ce don sans le payer trop cher ? Ce n’est qu’en travaillant pour soi-même sur la relation parentale et en mettant le juste sens sur ce qui se passe en nous que nous pourrons lâcher prise et peut-être aider les autres héritiers à faire de même. Comprendre et nommer le vrai conflit plutôt que le rejouer symboliquement. Cela n’est possible qu’en sortant de la dépendance aux parents, qu’en accédant à notre liberté d’adulte, et en acceptant le fait que notre histoire infantile est ce qu’elle est, qu’elle ne se réparera pas, mais que nous pouvons nous en affranchir.

L’héritage pourra alors se révéler l’occasion d’une réconciliation avec ce passé, l’occasion de se relier à l’histoire familiale sans plus lui être soumis, l’occasion de s’inscrire dans une continuité en devenant le dépositaire temporaire d’un patrimoine aussi bien matériel que symbolique que nous transmettrons peut-être à notre tour.

 

 

Ce contenu a été publié dans Introductions, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *