Grands-parents, grand amour ?

Le Café Psy du 09.11.17

Je commencerai par cette citation tirée du Guide des grands-parents de Grenon et Goupil : « Grands-parents, vous avez eu à cœur d’inculquer les bonnes manières à votre progéniture, vous aurez le même enthousiasme à enseigner les mauvaises à la leur. »

Sous forme humoristique, cela résume assez bien la place que pourraient occuper les grands-parents. C’est à dire une place où le plaisir et la complicité peuvent naître car la relation n’est pas soumise aux mêmes enjeux que la parentalité.

Cela commence dès la naissance de l’enfant. Les parents sont en plein bouleversement tant émotionnel que physique. Ils dorment peu, jonglent souvent entre le travail et la famille. S’il s’agit d’un premier né, ils peuvent se sentir en outre désemparés et anxieux. Les grands-parents soutiennent, enseignent, déchargent les parents. Cela peut sembler une évidence, mais ça a un impact sur l’enfant car il sera porté, caressé par ces personnes qui ne sont pas ses parents. Les grands parents sont bien souvent les premiers « autres » que rencontre le nouveau-né. Et ils se montrent plus calmes et disponibles.

Un amour inconditionnel

C’est là que commence leur rôle affectif. Bien souvent, les grands-parents dispensent leur amour sans réserve. Ils n’attendent rien du petit. Ils ne sont pas là pour éduquer. Ils punissent moins, critiquent moins, jouent plus, complimentent plus. L’arrivée de l’enfant pour une après midi ou des petites vacances est une fête. Les grands-parents lui préparent son plat préféré, ou imaginent des activités qui lui plairont. Et surtout, ils se mettent à son rythme. Il n’y a pas ou moins d’enjeu narcissique dans l’amour des grands-parents.

Au delà de cet amour désintéressé, inconditionnel, la relation avec les grands-parents participe grandement à la contruction psychique de l’identité, et leur fonction s’exerce autant au niveau conscient qu’au niveau inconscient.

Commençons par le conscient.

Des chroniqueurs du passé

Les grands-parents sont les chroniqueurs du passé. Ils racontent les histoires du temps d’avant, leur propre enfance, la guerre, d’autres moeurs, d’autres coutumes. L’enfant peut alors se situer en conscience dans un monde en constante évolution, et dans un roman familial avec ses héros ou ses tragédies. Il prend conscience qu’il s’inscrit dans une lignée, qu’il est un maillon de la chaîne des générations. Les photos, les meubles de famille sont autant de témoignages de ses racines. L’enfant sent ainsi autant l’éphémère et la durée. D’autant plus que les grands-parents sont âgés. Le petit découvre alors la vieillesse, le ralentissement, la fragilité humaine et la finitude à travers eux.

Enfin, les grands-parents sont aussi les biographes officiels des parents. Ils racontent les histoires de « maman quand elle était petite » ou « les bêtises de papa enfant ». Non seulement l’enfant adore ça, mais il prend ainsi conscience que ses parents ont été comme lui, dépendants, et qu’ils en sont sortis comme lui en sortira. Là encore, cela l’inscrit dans une temporalité, lui qui vit essentiellement au présent ou au futur proche jusqu’à la puberté.

L’ordre des générations

Sur le plan inconscient, l’identité se forme autour de deux axes : un axe vertical, qui est celui de la généalogie, de l’histoire, et des traditions, et un axe horizontal, qui est celui de sa classe d’âge. Quand l’un de ses deux axes vient à manquer, l’identité reste bancale. Or ce sont les grands parents qui dessinent l’axe vertical. Leur présence n’est pas indispensable. Il suffit qu’ils existent dans le discours des parents qui sont alors eux-mêmes les transmetteurs du passé.

Cet axe vertical fonde le sentiment d’appartenance. Les grands-parents donnent une place à l’enfant dans l’ordre des générations et dans la hiérarchie familiale. Les anecdotes et les souvenirs qu’ils racontent ont non seulement un impact conscient sur la constitution des racines mais elles organisent aussi les faits. Elles donnent du sens et une structure logique à l’histoire familiale. Ce qui est indispensable, particulièrement dans les aspects douloureux de cette histoire. L’impact des secrets de familles sur les générations témoigne des effets inconscients des défauts de transmission.

Des êtres plus puissants que les parents !

Par ailleurs, d’un point de vue plus psychanalytique, les grands-parents se trouvent au coeur de la préhistoire du complexe d’oedipe. Rappelons ce qu’est l’oedipe : le petit garçon de trois à cinq ans est amoureux de sa maman et se pose en rival face à son père qu’il hait autant qu’il le craint à cette période. Pour sa propre santé psychique, il devra se soumettre à la loi paternelle et renoncer à épouser sa mère. C’est un peu plus complexe du côté des petites filles mais grosso modo, on peut dire que c’est l’inverse. D’une part, la façon dont les parents se positionnent dans cette période agitée est conditionnée à ce qu’ils ont vécu au même âge avec leurs propres parents. D’autre part, les grands-parents permettent à l’enfant de relativiser la toute puissance parentale. En effet, il réalise qu’il existe des humains encore plus puissants que ses parents : leurs propres parents ! Cela donne un pôle d’identification au petit qui tentera de ressembler à un ou plusieurs de ses grands-parents, comme pour s’approprier cette autorité suprême à laquelle sont soumis son père et sa mère. Et là encore, cela donnera du sens à ce qu’il ressent, et une perspective d’en sortir.

On voit donc que la fonction des grands-parents est centrale dans la constitution de l’identité de l’enfant. Par leur amour inconditionnel et dénué d’enjeux personnels, ils contribuent à sa sécurité intérieure et compensent bien souvent la pression parentale. En donnant du sens à l’histoire généalogique, ils aident l’enfant à mieux comprendre ses parents, voire ils le déchargent parfois de son sentiment de responsabilité. En lui reconnaissant sa place dans la communauté familiale, les grands-parents donnent au petit une place dans la communauté des humains.

Pour mesurer la valeur symbolique de ce lien précieux, il n’est qu’à voir combien de parents donnent à leur enfant le prénom de l’un de leur propres grands-parents.

 

Ce contenu a été publié dans Introductions, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *