Pourquoi le mensonge ?

Le Café Psy du 07.09.17

« La vérité sort de la bouche des enfants » dit le vieil adage populaire. Et d’une certaine manière, même à travers un mensonge, c’est… vrai.

Le mensonge est une manifestation normale et saine du développement psychologique de l’enfant. Pourtant, quel parent ne s’exaspère pas quand il voit le nez de son fils s’allonger tandis qu’il lui raconte, les yeux dans les yeux, qu’il n’a pas renversé les géraniums du balcon et que c’est certainement un pigeon ? Plutôt que d’asséner sur un ton définitif: « tu es un menteur », mieux vaut chercher le sens caché du mensonge, qui dépend grandement de l’âge de l’enfant.

Le mensonge vient avec la parole et constitue l’une des premières formes de pouvoir sur les parents. Au cours de ses toutes premières années, l’enfant est convaincu que ceux-ci savent tout et disent tout. Plus précisément, ce qu’ils ne disent pas n’existe tout simplement pas. Mais voilà que vers 3 ou 4 ans, il a suffisamment d’expérience pour comprendre qu’il n’en est rien, et du même coup, il intègre que, ce que lui-même ne dit pas, ses parents n’ont aucun moyen de le savoir.

Embellir la vie

Il commence alors à comprendre le pouvoir de la parole : exprimer ses désirs, mais aussi cacher ses pensées, voire inventer des choses pour se rendre plus aimable. Car elle est là, la première motivation du mensonge : paraître plus beau, plus fort, plus intéressant, pour obtenir plus d’amour – ou pour ne pas le perdre. Et ceci vaut aussi pour les adultes, j’y reviendrai.

A cet âge encore innocent, on distingue un deuxième type de mensonge, celui destiné à embellir la vie. Jusqu’à 5 ou 6 ans, la frontière entre vérité et mensonge reste floue, puisque l’enfant lui-même ne fait pas encore totalement la différence entre réel et fiction. Il connait la signification du mot « mensonge » grâce à l’éducation, mais en ce qui le concerne, il communique simplement sa vie intérieure, convaincu de sa réalité. Tous les enfants déforment le réel pour le plier à leurs désirs et faire face à leurs frustrations.

Ils trouvent dans le mensonge la jouissance de croire que tout est possible, que leurs désirs gouvernent le monde. Leur monde. Le mensonge les aide à se structurer, à supporter le réel, et à se construire psychologiquement.

Vers 6 ans, en général à l’entrée au CP, l’enfant distingue parfaitement le réel de l’imaginaire et il a compris les notions de bien et de mal. Le mensonge devient alors un moyen d’éviter les conflits de toutes sortes et peut servir différentes causes. La première revient à se dédouaner.  « C’est pas moi, c’est lui! »

Tout pour être aimé

Mais, paradoxalement, plus il est jeune, plus l’enfant ment « honnêtement ». Quand il a fait une bêtise, il le sait. Il se sent coupable. Pire, il se croit mauvais. Alors, pour se déculpabiliser, il attribue sa faute à un autre, avec une vraie part de sincérité. En psychanalyse, on s’appelle cela une projection. La forme est plus sophistiquée chez les adultes mais le moteur est le même : reprocher à l’autre nos mauvais comportements, en toute bonne foi. Etes-vous bien certain de ne l’avoir jamais fait, ou subi ?

Nous l’avons souvent dit et redit ici, rien n’est plus important pour un enfant que l’amour et l’estime que ses parents lui portent. Pour les conserver, il enjolive les moments qu’ils passent loin d’eux, trouve des justifications à ses bêtises, se raconte sous un jour meilleur. Bref, il leur cherche toutes les bonnes raisons de se sentir fiers de lui, quitte à mentir.

Plus généralement, pour répondre aux attentes des autres, copains, profs, famille élargie, il cherche à se valoriser et ses parents avec. Son papa a une grosse voiture, la maison de campagne possède une piscine, il joue du piano depuis ses 4 ans – alors qu’il n’a jamais touché un clavier. Cet idéal de lui-même et de son environnement cherche bien souvent à masquer une situation qu’il vit mal, ou qu’il croit que sa famille vit mal. Ses mensonges expriment une vérité qu’il ne sait pas ou ne peut pas dire autrement. Il ment le plus souvent inconsciemment, en fonction de ses désirs et de ses peurs les plus profonds, les plus cachés.

Une stratégie de survie

C’est là que, dans certains cas, le mensonge ou l’affabulation peut devenir une stratégie de survie face à une situation trop difficile. Il s’agit alors d’une issue qui permet d’élaborer, de donner du sens à ce qui n’en a pas dans le réel de l’enfant. Comme un pouvoir magique qui anéantirait le sentiment d’impuissance.

Et bien souvent, ce sentiment d’impuissance naît dans le mensonge des parents. Or, si le mensonge est une part naturelle de la construction psychique, le petit a également un absolu besoin de vérité, notamment sur son histoire et sur son environnement immédiat, pour se développer harmonieusement.

L’enfant constate ou ressent le déni, les trous, ou les mensonges avérés dans le discours et la posture des adultes. Et il en tire les conséquences : mieux vaut éviter de poser des questions. Mais il est aussi en quête d’historicisation pour donner du sens à ce qu’il vit et éprouve. Il doit effacer les contradictions et l’ambiguité sous peine d’effondrement psychique. C’est donc dans la fiction qu’il construit le récit que ses parents refusent de faire.

Par ailleurs, il ne peut en aucun cas les trahir en dénonçant leurs mensonges. D’abord parce qu’il n’en a pas le droit, ensuite parce que son amour pour eux l’empêche de remettre en cause leur image, enfin parce que cela serait prendre le risque d’une perte d’amour et d’une rupture insupportable pour lui. Pour résoudre ce conflit interne, il fait de cette fiction reconstruite, sa vérité, et développe en grandissant une personnalité qui cultivera faux semblants et contre-vérités comme seuls garants contre la perte d’amour. Dans le pire des cas, cela donne les mythomanes dans l’histoire desquels on trouve bien souvent des incertitudes quant à leur filiation.

Mais que l’on ait grandi dans la vérité ou le mensonge, il reste qu’il nous est, à tous, impossible de parler complètement vrai car les mots ne suffisent pas à dire toute notre vérité. Tout comme il nous est également impossible de ne pas mentir.

Les mensonges destinés à tromper et manipuler délibérément sont minoritaires. Au quotidien, l’immense majorité de nos mensonges sont des actes presques automatiques, réflexes, destinés à nous protéger. A nous protéger de la honte, de la perte d’estime de soi, du jugement… Ce qui revient à mentir par peur de la privation d’amour. Comme dans notre enfance.

Ainsi, plutôt que de voir dans les mensonges de nos proches le signe d’une trahison, nous pourrions les interpréter dans leur part de vérité : une manifestation d’amour.

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