Souffrir et se relever : la résilience

Le Café Psy du 12.09.19

Au commencement, il y a le traumatisme. Il peut être de tous ordres : abandon, viol, maltraitance, agression, exil, deuil brutal ou prématuré, etc.

Le trauma se différencie d’un évènement douloureux par quatre conditions, toutes nécessaires et suffisantes :

1- la soudaineté

2- la menace (réelle, potentielle, ou imaginée) de destruction de l’intégrité physique et/ou psychique

3- l’incapacité physique et/ou psychique de réagir face à cette menace

et enfin

4- l’absence totale de sens d’un tel évènement dans notre vie.

Soudain, notre monde se désorganise et devient confus.

Un traumatisme peut être un évènement isolé comme une agression ou une catastrophe, ou bien une situation qui se répète comme la maltraitance ou l’humiliation. Le trauma est souvent conscient, inscrit dans la mémoire, mais il peut aussi être non conscient, soit parce qu’il est minimisé par la victime, soit parce qu’il est intervenu trop tôt dans la vie pour être mémorisé, soit parce qu’il a été effacé de la mémoire par ce qu’on appelle l’amnésie traumatique.

C’est quoi, la résilience ?

A l’origine, le terme de résilience est utilisé en physique pour évaluer l’aptitude d’un métal à reprendre sa forme initiale après une déformation produite par un choc.

En psychologie, la résilence désigne la capacité à reprendre vie à la suite d’une expérience traumatique grave, et d’en sortir transformé et grandi malgré l’importante destruction intérieure, en partie irréversible, subie lors de la crise.

il s’agit donc d’un processus de retour vers un développement positif après une agonie psychique.

Boris Cyrulnik utilise la métaphore du chemin pour illustrer cette idée – je cite : « Le chemin de l’homme normal n’est pas dépourvu d’épreuves : il se cogne aux cailloux, s’égratigne aux ronces, il hésite aux passages dangereux et, finalement, chemine quand même ! Le chemin du traumatisé, lui, est brisé. Il y’a un trou, un effondrement qui mène au précipice.
Quand le blessé s’arrête et revient encore et encore sur ce parcours, il se constitue prisonnier de son passé, fondamentaliste, vengeur ou soumis à la proximité du précipice. Le résilient, lui, après s’être arrêté, reprend un cheminement latéral. Il doit se frayer une nouvelle piste avec, dans sa mémoire, le bord du ravin. Le promeneur normal peut devenir créatif, alors que le résilient, lui, y est contraint ». Fin de citation.

Nous sommes tous capables de résilience. Comme tout organisme vivant, nous sommes dotés d’une force qui nous pousse à mettre toutes nos ressources au service de la survie. Les psy appellent cela « la tendance actualisante », c’est à dire un processus actif, naturel, qui tend vers la croissance et le développement, quoiqu’il arrive. La résilience serait en quelque sorte une branche spécialisée de la tendance actualisante, qui se mobilise lorsqu’une partie de notre identité a été détruite.

Mais cette aptitude innée a pu être affectée ou renforcée par nos histoires de vie, et notamment dans la petite enfance. Car elle est fortement en lien avec le sentiment de sécurité.

Force vitale individuelle et « tuteur de résilience »

Pour pouvoir revivre, le blessé de l’âme a besoin de deux éléments essentiels : sa force vitale d’une part, et d’autre part, ce que Boris Cyrulnik nomme un « tuteur de résilience », un point d’accroche sur lequel il lui sera possible de s’appuyer pour renaître.

Autrement dit, il y a deux axes étroitement liés dans le processus de résilience : l’axe intrapsychique, qui concerne les capacités propres à chacun, et l’axe relationnel.

Concernant l’intrapsychique, le travail de résilience doit impérativement être initié par l’individu lui-même. Il nécessite de sortir de la position de victime immergée dans sa souffrance, ce que Cyrulnik appelle « Rester mort ». Mais renoncer à être une victime, c’est renoncer à la compassion, à la passivité, à la prise en charge par les autres et à une forme de déresponsabilisation de sa vie. Cela demande beaucoup de courage, et une très grande force vitale !

Or, cette force vitale n’existe chez l’être humain que si, bébé, il a pu se développer dans une niche de sécurité minimum, c’est-à-dire entouré d’une attention et d’une affection suffisantes pour le pousser vers la vie et vers les autres. Un petit qui n’a pas été sécurisé peut présenter des troubles de l’attachement et du comportement plus ou moins sérieux. En cas de traumatisme, quel que soit son âge, il lui sera donc plus difficile de rebondir, car il n’aura pas suffisamment de confiance en ses propres ressources.

Il lui sera encore plus difficile de s’engager sur l’axe relationnel, et de se saisir de ce deuxième élément nécessaire à la résilience : le « tuteur, de résilience », c’est à dire une ou plusieurs personnes sur lesquelles le traumatisé pourra s’appuyer en confiance, tout comme il s’appuyait enfant sur son entourage immédiat. En effet, comment s’abandonner véritablement à la bienveillance d’un autre si on ne l’a pas connue de la part de ses propres parents ?

Et de fait, si la résilience doit absolument venir de notre propre volonté de survivre, elle ne pourra pas advenir dans la solitude. Après un traumatisme, on est comme un compteur disjoncté. Quelqu’un doit venir nous trouver dans le noir avec une bougie pour réenclencher notre disjoncteur et nous ramener vers la lumière.

Le tuteur de résilience est une personne qui va croire en l’avenir à la place de celui qui souffre. Qui va croire en ses capacités à s’en sortir et qui va l’accompagner sur ce chemin mais sans le dessiner à sa place.

Cela se passe en trois temps, dont la durée n’est pas quantifiable.

Un temps d’expression, un temps de symbolisation et un temps d’action.

Expression et mise en sens

L’expression est essentielle. Raconter. Encore et encore. Jusqu’à épuisement des mots parfois. C’est la seule façon de libérer les émotions inhibées lors de l’évènement et souvent dissumulées à soi-même ou aux autres tant on cherche à se protéger et à protéger son entourage de nos souffrances les plus intenses.

Raconter permet de transformer le vécu en un récit, une histoire dont on est l’acteur principal. C’est une façon de s’approprier l’expérience après l’avoir subie, une façon de sortir de l’impuissance. C’est le temps des questions du type « aurait-il pu en être autrement ? », « pourquoi est-ce ainsi et pas autrement ? » ou « pourquoi moi ? ». C’est le temps de l’attribution des responsabilités, à ne pas confondre avec les notions d’accusation ou de culpabilité. Il s’agit de réinscrire l’évènement dans une chaine de sens. De pouvoir ainsi l’intégrer dans le déroulé de sa vie.

« Ce qui n’est pas dit n’existe pas », écrivait Nietsche. Nommer fait exister le traumatisme pour ce qu’il est : une part irréductible mais évolutive de nous-même. Sans cela, il resterait comme un corps étranger à l’intérieur, figé tel un objet. C’est cela, la symbolisation. Donner du sens et intégrer l’évènement à soi.

Agir « grâce » au malheur

Mais l’expression et la mise en sens ne suffisent pas. Il faut faire quelque chose de ce qui s’est passé. Il faut agir sur le malheur -parler-, puis agir « grâce » au malheur.

Car la résilience n’est pas un simple retour à l’équilibre antérieur. Au contraire, elle mène ceux qui traversent ce processus à un style de vie d’une qualité particulière, plus grave, plus authentique, qui les rend différents.

Après avoir été plongé de force dans une expérience de totale impuissance, il est indispensable de récupérer le pouvoir sur soi-même et sa propre vie. On y parvient le plus souvent en sublimant l’horreur de l’expérience vécue. On peut dire que beaucoup d’artistes, de thérapeutes, de travailleurs sociaux, de fondateurs d’associations sont des résilients, mais à chacun ses désirs et sa créativité. Il y a autant de parcours différents que de résilients. L’important est de mettre en place dans sa vie quelque chose de satisfaisant et de signifiant que nous n’aurions sans doute jamais fait, voire jamais imaginé, sans ce traumatisme.

Etre résilient est un état définitif. Un état d’être, sans retour en arrière. Pour visualiser cet état et conclure cette présentation, j’aimerais vous montrer une photo de l’art japonais du Kintsugi qui consiste à réparer une céramique cassée en soulignant ses cicatrices avec de l’or au lieu de les cacher.

 

 

Ce contenu a été publié dans Introductions, Uncategorized, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *