La gratitude : savoir la ressentir, oser la dire

Le Café Psy du 17.10.19

La gratitude provient du mot latin « gratia », la grâce, la faveur, qui est aussi à l’origine de « gratuité ». L’une comme l’autre ne peuvent être ni exigée ni attendue.

La gratitude est une joie humble qui donne toute sa place à l’autre, à celui qui offre. C’est reconnaître qu’il a été généreux alors que rien ne l’y obligeait.

La gratitude est une émotion complexe qui ne s’extériorise pas avec les expressions du visage mais avec des mots ou des actions.

Elle implique plusieurs mouvements : d’abord le constat d’un évènement positif dans notre vie, puis l’acceptation que sa source est extérieure à nous, et enfin que cette source n’avait pas d’obligation envers nous. Être reconnaissant implique donc une dimension intellectuelle : constater, comprendre. Mais aussi une dimension émotionnelle : apprécier, se laisser toucher. Et enfin une dimension psychique : accepter l’interdépendance entre êtres humains.

Aux sources de la gratitude

C’est pourquoi, contrairement aux émotions fondamentales comme la joie ou la colère, la gratitude n’émerge pas spontanément. Elle procède de ce qu’en psychologie cognitive, on appelle « une théorie de l’esprit », c’est à dire la capacité à attribuer des pensées ou des intentions à autrui. 

Le sentiment de gratitude apparaît autour de quatre ans, mais il se fonde en revanche sur des étapes bien antérieures du développement.

Selon la psychanalyste Mélanie Klein, dans les trois à quatre premiers mois de sa vie, le bébé est pris entre deux pulsions : la pulsion d’amour et celle de destruction. Amour quand il est nourri, aimé, câliné. Destruction lorsqu’il est frustré et que amour et nourriture lui sont refusés.

La pulsion destructrice suscite chez l’enfant des angoisses terribles qu’il va calmer en clivant ses sentiments envers sa mère. C’est à dire que, tour à tour, elle lui apparaîtra comme une entité mauvaise et menaçante, qui justifie son agressivité, ou comme un objet idéal et bienfaisant, qui mérite son amour. Dans la psychologie d’un nourrisson, il s’agit de deux personnes distinctes. En psychanalyse, on appelle cela le bon et le mauvais objet.

Le bon objet, source d’amour, de chaleur et de plénitude augmente l’amour du nouveau né mais également son désir de dispenser lui-même de tels bienfaits. Il cherche alors à acquérir ces qualités.  Si la tâche lui apparaît comme impossible – et cela arrive lorsqu’une mère se montre trop souvent indifférente ou agacée – il voudra détruire les qualités de cet objet qui lui fait éprouver le sentiment si douloureux de l’envie. Et ce désir de destruction ne fera que renforcer l’angoisse des pulsions agressives.

En revanche, si l’environnement est favorable, suffisamment aimant et bienveillant, le petit sentira de plus en plus que l’objet idéal est plus puissant que l’objet menaçant et que ses pulsions d’amour sont plus fortes que ses pulsions de destruction. Petit à petit, vers quatre à six mois, il a moins besoin de cliver les parts positives et négatives de lui-même et il peut regarder sa mère comme un objet unique, souvent bienveillant et parfois insuffisant. Il se rend compte et accepte que c’est lui-même qui aime et parfois déteste une seule et même mère.

L’enfant peut alors percevoir ce qui est bon pour lui. L’objet n’est plus tout puissant dans sa bonté ou dans sa menace. Le bébé comprend également que si lui-même peut parfois ressentir de la haine, il peut aussi réparer par un sourire ou un calin. Il accède à l’ambivalence.

Accepter d’être vulnérable

Quel rapport, me direz-vous, avec la gratitude ?

Pour éprouver de la gratitude, d’une certaine façon, il faut en avoir fini avec l’envie. Autrement dit, il faut être conscient que l’autre, la mère quand on est bébé mais aussi toutes nos relations à l’âge adulte, est un être à part entière, maître de ses intentions et de ses décisions. Ce que l’autre me donne, il avait la possibilité de ne pas me le donner. Ca ne me rend pas dépendant. Je peux sincèrement dire merci sans me sentir diminué face à un être tout-puissant qui me dispense ses bienfaits.

C’est pourquoi certaines personnes ont un mal fou à ressentir et encore plus à exprimer leur gratitude. L’ingrat nie la valeur de ce qu’il reçoit. Soit ce n’est pas assez, soit, plus ou moins consciemment, cela lui est dû, soit encore, il y perçoit des intentions cachées. Il demeure prisonnier de ses peurs d’enfant : peur de devoir, peur de dépendre, peur de se faire avoir, peur de l’autre. C’est chacun chez soi et chacun pour soi.

Le psychothérapeute et philosophe Piero Ferrucci écrit que « la gratitude repose sur notre capacité à être “vulnérable”, c’est-à-dire à accepter de nous faire aider et à être content de recevoir ce soutien. »

Dire « Merci » – j’entends par là un vrai merci du fond du coeur et non une formule de politesse du bout des lèvres – est un acte de confiance et d’abandon. Cela suppose d’ôter sa carapace. Il est d’ailleurs, pour les mêmes raisons, aussi difficile de le dire que de l’entendre.

Exprimer sa gratitude, c’est se frayer un chemin vers l’autre. C’est reconnaître ce qui, à l’intérieur de nous, ne dépend pas de nous. La gratitude renforce l’estime de soi et le sentiment d’appartenance. C’est l’humilité sans l’humiliation.

On le répète suffisamment aux enfants : « Merci », c’est le mot magique.

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