Chacun cherche sa place

Le Café Psy du 03.05.18

Nombre d’entre nous croient qu’ils trouveront leur place dans une situation professionnelle épanouissante ou un statut social, dans une relation affective heureuse, dans leur rapport aux autres ou encore dans une idéologie ou une cause à défendre. A l’extérieur d’eux-mêmes, donc.

Or trouver sa place est une affaire intime, une histoire d’identité, et de légitimité que l’on se donne à soi-même.

Aucun succès, aucun bonheur ne suffira à apaiser durablement celui qui ne s’autorise pas à être lui-même. Alors que pour celui qui s’accepte et se reconnaît dans toutes ses dimensions lumineuses et ombrageuses, toute chose sera vécue comme juste au sens de la justesse, même lorsqu’elle ne l’est pas au sens de la justice.

Le syndrome de l’imposteur

Ne pas se sentir à sa place s’éprouve bien souvent dans ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur. C’est à dire la sensation que, malgré les succès, les récompenses ou l’amour, l’on ne mérite pas ce qu’on a, et qu’un jour forcément, l’autre, les autres, finiront bien par nous démasquer. Notre conscience a beau voir que nous sommes aimés ou reconnus, a beau savoir que nous avons suffisamment travaillé, que nos compétences sont réelles, une part de nous, une part insistante, perpétue la peur et le sentiment d’imposture.

Et en fait… à juste titre. Non que nous ne méritions pas ce que nous avons, ou que nos qualités ne soient pas authentiques, mais parce que ces qualités, nous les avons développées guidés par une nécessité de suradaptation et non selon nos propres besoins et désirs. Il en résulte cette impression d’être toujours un peu à côté de soi-même et de porter un masque car, en effet, nous sommes à côté de nous-mêmes et nous portons un masque.

A propos du « self »

Comment se construit le sentiment d’être soi, à sa juste place ?

Comme souvent en matière de psychologie humaine, il faut remonter aux origines, aux premiers mois et à la relation maternelle, à la constitution de ce que le psychanalyste Donald Winnicott appelle le « self ».

Qu’est-ce que le self ? Selon Winnicott, il s’agit d’une part importante de notre psyché qui contient le moi, l’idéal du moi, le « ça », et une partie du surmoi. Détaillons un peu :

  • le « ça », c’est la zone des pulsions, conservation, libido, désir, et agressivité. Le « ça » vise à la satisfaction immédiate.
  • Le surmoi est l’instance interdictrice de la psyché : « tu ne dois pas. »
  • L’idéal du moi est le lieu de notre narcissisme, notre vision idéale de nous-même, que nous cherchons sans-cesse à atteindre : « tu dois, tu devrais. »
  • le moi, c’est pour une part notre personnalité consciente, nos pensées et comportements, mais aussi nos stratégies de défense inconscientes. Le moi se construit dans une négociation entre les exigences inconscientes du ça et les interdits du surmoi face à la réalité.

Le self est la partie la plus créatrice de notre personnalité, celle qui joue, qui imagine. C’est ce que nous reconnaissons comme étant nous-même et qui nous donne le sentiment de notre identité, le sentiment d’exister.

Construire son identité

Le self se développe dans le contact avec l’environnement. C’est à dire que dès la naissance, en fonction du regard et des soins maternels, le bébé va petit à petit accepter ses besoins, ses pulsions d’amour quand ils sont satisfaits, et surtout ses pulsions de haine quand ils ne le sont pas. Il va comprendre tranquillement que ces dernières ne le détruisent pas, qu’elles ne détruisent pas sa mère, et qu’elles ne détruisent pas non plus l’amour qu’elle lui porte. A force de soins adaptés et de regards bienveillants, le bébé apprend à se connaître tel qu’il est, forge son identité intime et s’enracine dans l’expression de sa spontanéité, qui se renforce et se développe tout au long de l’enfance. Ce sera ce que Winnicott appelle le « vrai self ».

Par ailleurs, en grandissant l’enfant reçoit une éducation et apprend également à adapter ses comportements à la réalité de son environnement. Il développe ainsi un « faux self », une sorte de masque qui lui permettra de contenir ses pulsions et sa spontanéité afin de vivre en société.

Ce faux self sain protège le vrai qui pourra facilement s’exprimer chaque fois que l’individu le souhaite.

Voilà pour le meilleur des cas.

Quand l’identité est étouffée

Que se passe-t-il lorsque la mère se montre trop souvent incapable de répondre aux manifestions spontanées du bébé et le contraint à trop de soumission ? Que se passe-t-il lorsque par la suite l’enfant n’est pas éduqué mais dressé, sans laisser suffisamment de place à sa spontanéité ?

Cette non-reconnaisance répétée des mouvements instinctifs, qu’ils s’agissent de manifestations affectives, de colères, ou de peurs, favorisera très tôt le développement d’un faux self tyrannique, soutenu par la croyance de l’enfant qu’il ne peut être aimé, accepté et reconnu qu’en s’adaptant aux exigences de son environnement. Son père et sa mère d’abord, toutes ses relations professionnelles ou affectives par la suite.

Le faux self peut asphyxier entièrement la véritable personnalité, jusqu’à même l’oublier. Le camouflage du vrai self devient inconscient ne laissant plus place qu’à une personnalité qu’on pourrait dire « comme si ».

Gouverné par la peur du rejet et de l’abandon, le faux self est tout à fait capable de fabriquer de grandes réussites professionnelles ou personnelles au prix d’un perfectionnisme despotique, du déni des émotions, et de l’agressivité contenue, mais ces succès s’accompagneront bien souvent d’un sentiment de honte, de culpabilité, d’inquiétude, et de ces sensations d’être incompris, de ne pas être légitime, pas au bon endroit, d’être un imposteur.

A trop s’interdire inconsciemment d’être soi-même, on finit par ne plus savoir qui l’on est. Tant que le regard des autres nous tient loin de nos peurs, les choses peuvent, bon an mal an, se maintenir ainsi, mais au premier échec important, rupture, licenciement ou autre, la psyché peut s’effondrer et conduire à la dépression ou à des somatisations.

Retrouver sa légitimité

Retrouver le vrai self se fait d’abord en prenant conscience du faux, puis en détricotant les instances du ça, du surmoi et de l’idéal du moi. Il s’agit de donner leur légitimité à nos pulsions – ce qui ne signifie pas forcément les assouvir en tout temps et en tout lieu -, de faire taire notre surmoi arbitrairement interdicteur, et de faire de notre idéal du moi un moteur de progrès au lieu d’un impératif d’excellence.

C’est alors que, débarrassé de nos croyances et de nos peurs, nous pourrons laisser libre cours à notre créativité et à nos affects, retrouver notre vérité et affronter toute situation, non pas dans la joie systématique – toutes les situations ne le mérite pas -, mais au moins sans risque d’effondrement. Nous aurons le sentiment que nous sommes à notre juste place, ni usurpée parce que trop grandiose ni injustement étriquée. Nous serons enfin, comme le disait Carl Gustav Jung, devenus « un morceau du monde ».

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