Vivre le deuil – Verbatim

Le Café Psy du 06.11.14

munchPrésence

« A l’enterrement de ma mère, comme d’habitude, mes sœurs sont arrivées en retard. Comme si elle était encore vivante et qu’elle nous pouvait nous voir, je l’entendais dire : « Même le jour de ma mort, ils me font attendre ! (rires)»

Colère

« J’ai dû sauter une phase. J’ai tout de suite été dans la colère. Je n’ai trouvé un remède que dans l’écriture. Sur le papier je pouvais me lâcher alors qu’avec avec les autres je ne pouvais pas. J’ai revécu avec lui par l’écriture, après ça été mieux et j’ai pu en parler aux autres. »

« J’ai mis dans mes peintures ce que je n’ai pas su dire à mes parents. En y mettant ma colère, j’ai pu régler mes comptes avec eux. »

« Le fait de vouloir conserver le défunt permet de continuer à régler ses comptes avec lui à l’intérieur, dans l’inconscient. Quand le deuil est fait, on n’a plus à être en colère. »

Chagrin

« On pleure le mort, mais on pleure aussi sa propre douleur. »

« J’avais tellement peur de souffrir que  je faisais un peu comme si mes parents n’étaient pas morts. Je n’ai pas accueilli la compassion qu’on pouvait me donner,  je l’ai mise à distance. Mais on ne peut pas faire l’économie de la souffrance. Il a fallu que j’accepte de souffrir et d’être mal. »

« Mon père est  décédé dans des conditions effroyables, tout seul. J’avais décidé que le jour de son enterrement j’allais lui faire un beau discours, sans pleurer. J’ai fait un beau discours, je n’ai pas pleuré. Je n’ai pas pleuré mon père… Plus tard, en allant sur sa tombe, je lui ai dit : « Ecoute papa tu m’en as fait baver ». J’ai réussi à pleurer et j’ai compris que mon père lâchait prise à l’intérieur de moi. »

« Six mois après le décès de ma mère,  j’ai l’impression que je n’ai déjà plus le droit de dire que j’ai de la peine. De temps en temps, j’aimerais confier que j’ai eu du gros chagrin d’avoir perdu ma mère. »

Le Café Psy : « Plus on est capable d’accepter le chagrin, plus on peut avancer. Il est difficile de vivre dans un environnement social, où, passé les quelques jours réglementaires, il faut continuer à vivre. Dans toutes les civilisations, on trouve des rites de deuil très longs. Dans notre culture, on a droit à trois jours d’arrêt de travail pour le décès de son conjoint ! Il y a encore quelques décennies, on portait le deuil, en noir, pendant un an minimum, puis seulement après, on revenait aux couleurs. La société intégrait le temps réel du deuil, un temps long. Aujourd’hui, il arrive que même les proches, au bout de six mois, aient du mal à accepter que le deuil ne soit pas fait. Cela nous renvoie à notre propre souffrance. Or notre pulsion première est de trouver une solution pour échapper à notre propre souffrance, pas à celle de l’autre. »

« Je reste bloqué à toutes les étapes du deuil. Comme dans un ascenseur, je suis bloqué à tous les étages. »

Angoisse de mort

« J’ai découvert que j’étais mortel quand j’ai perdu mes parents vers 30 ans. Ca a agi comme un effet miroir : J’ai eu la trouille de ma propre mort. »

«  C’est universel, on ne peut pas échapper à la mort. »

Le Café Psy : « Toute mort d’un proche nous renvoie à notre propre mortalité. Mais ce sentiment est perçu comme quelque chose d’égoïste et donc mal accepté. Soi-même, on peut avoir du mal à le vivre en toute bonne conscience, avec l’idée de ramener la chose à soi. Ca rajoute de la douleur à la douleur. Cet aspect-là du deuil est peu souvent abordé. »

« Ça m’angoisse… La mort c’est comme un passage, un tremplin. Une fois le deuil fait, après, qu’est-ce que je fais avec le reste de ma vie à moi ? »

Solitude

« Le deuil n’est que personnel. On fait le travail pour soi. »

« Pour moi, ce n’était pas possible d’être égoïste dans le deuil. »

« J’avais l’impression que personne ne pouvait comprendre ce que je ressentais. »

« On peut être très entouré mais  un moment vient où on est seul et l’autre ne peut rien. »

L’entourage

« On ne peut pas comprendre ce que l’autre vit. Chacun est à sa propre place. La compassion c’est être présent à l’autre : «  Je suis là pour t’écouter ». Pas besoin de parler dans ces cas-là. »

«  Quand on perd son père, sa mère, son frère ou sa sœur, on ne le vit pas forcément de la même façon. En même temps, si les autres sont là, je crois que ça change quelque chose. Ca n’enlève pas le deuil mais on se sent moins seul. »

Le Café Psy : « La compassion met de la douceur là où règne la douleur. »

« Après la mort de ma mère, mon père est venu chez moi. Je l’ai mal vécu car j’aurais aimé pouvoir me retrouver dans ma tanière comme un animal blessé. La compassion j’aurais aimé l’avoir, mais je ne pouvais pas la recevoir. »

« Il y a quelque chose de personnel dans la façon de faire son deuil mais pas dans le fait d’être en deuil. La compassion, c’est une expérience d’inter humanité où l’on vit très fortement sa condition humaine. »

Les parents

« Quand on a eu des relations difficiles avec les parents, c’est plus difficile de faire le deuil. On reste sur sa faim. Ça fait 45 ans que mon père est mort et je n’ai jamais pu faire le deuil.»

Le Café Psy : « Plus la relation a été compliquée, plus elle a impliqué des manques. La disparition de ce parent nous renvoie au fait que ce manque ne sera jamais réparé. Les personnes qui ont eu des relations très complexes avec leurs parents connaissent souvent des phases de deuil plus longues.»

Le Café Psy : « On apprend le deuil avec ses parents, dans la toute petite enfance lors des premières séparations avec la mère. Ce premier deuil va déterminer tous les deuils par la suite. On est au cœur des enjeux qui nous constituent. C’est le princeps qu’on perd, quand on perd ses parents. Toutes les autres relations sont des émanations de cette relation aux parents qui a conditionné notre capacité à vivre plus ou moins bien nos différents deuils. Ce qui ne veut pas dire sans douleur.

« Quand un parent meurt, c’est le deuil de soi qu’on n’arrive pas à faire. »

Le Café Psy : « Cela va dépendre du processus de séparation qu’il y a eu avant. Si dans l’enfance, à l’adolescence, j’ai pu me séparer de mes parents pour devenir autonome, le deuil va moins me faire plonger puisque je me serais déjà séparé. Ce n’est pas lié à la qualité de la relation mais plutôt au fait qu’elle soit fusionnelle ou séparée. »

Soulagement

« On peut aimer ses parents et pourtant être soulagé qu’ils soient morts. »

Le Café Psy : «  Du fait de l’attachement, on culpabilise de ressentir ce soulagement. Faire un deuil c’est se séparer. Pour accepter il faut être en paix. Tant qu’il y a de la culpabilité, on ne se sépare pas. »

« Ma sœur et mon mari ont beaucoup souffert avant de mourir. Quand ils sont décédés j’ai senti un soulagement car je les ai sentis en paix.»

« La mort de mon père m’a soulagée d’une très terrible souffrance. Je suis aujourd’hui capable de penser à tous les bons moments que j’ai pu passer avec lui. Je vis une autre vie avec lui. J’ai l’impression qu’il est en paix avec moi et je suis en paix avec lui. »

« J’ai vécu la mort de ma grand-mère comme la perte de quelque chose de moi-même. Je sentais qu’on m’arrachait une partie de moi. Ce n’était pas un soulagement mais un sentiment de finitude irrémédiable. »

« Pendant longtemps j’ai pensé : « mon père ne va jamais mourir. Ça ne s’arrêtera jamais. » »

Rupture

« Les ruptures amoureuses engendrent les mêmes processus de deuil. »

« On  se dit : « Pour moi cette personne est morte ». »

« Le jour où ma sœur, après sa rupture a dit : « Edouard est mort.»  Elle était guérie. Elle a retrouvé quelqu’un quelques mois après. »

Le Café Psy : « Le deuil est fait quand on a la capacité d’investir ailleurs. Dans une relation de couple, le processus de deuil est achevé  quand on est capable d’aimer à nouveau, une autre personne. Ce qui ne signifie pas qu’on n’a pas aimé si le deuil s’est fait rapidement. »

Déni

« Dans les parcours de vie, il peut y avoir des événements qui vont rappeler des expériences de deuils non faites. »

Le Café Psy : « Ces moments sont très difficiles et douloureux en général. D’autant plus douloureux qu’on ne sait pas forcément de quoi on est en train de faire le deuil. On se trompe d’objet. Du coup, le deuil est quasiment impossible à faire. J‘ai connu le cas d’une femme qui, ayant perdu son père dans des circonstances violentes, n’avait pas tellement accusé le coup. C’est suite à un divorce qu’elle s’est effondrée. A ce moment-là, elle a fait le deuil de son père beaucoup plus que de son mari. Et beaucoup plus violemment que s’il s’était déroulé au juste moment.»

« Je connais une fratrie qui a décidé de ne pas dire à leur grand-mère qu’un de ses fils qui vivait à l’étranger était mort. Ils ont créé une mythologie, allant jusqu’à l’appeler régulièrement en se faisant passer pour son fils décédé ! Il a été ensuite impossible de revenir en arrière. Le secret du non deuil s’est perpétué et a emprisonné toute la famille jusqu’au décès de la grand-mère. »

« Quand le deuil est interdit dans la famille, les dégâts peuvent être considérables et difficile à réparer. »

Le corps

« J’avais tellement peur de la mort, que je n’ai pas pu voir le corps de ma mère. C’a été un manque cruel. Je me suis rattrapé avec mon père. »

Le Café Psy : « Certains deuils peuvent détruire des familles : les morts à la guerre, en mer…Sans corps, il n’y a pas de deuil car il n’y a pas de mort. Tout le monde sait que la personne est morte mais il n’y a pas de preuve. »

« Au cimetière de Bagneux, un mur entier est recouvert de noms et prénoms de disparus. Tant que ça n’est pas inscrit ça n’existe pas. Comme pour les enfants de déportés. »

Le deuil des autres

« A la mort de mes grands-parents, j’ai vu aussi le deuil chez mon père. Je l’ai vu dévasté par cette tristesse pure. C’était quelque chose que je ne connaissais pas de mon père. »

Deuil de l’enfance

« A 20 ans, avec la perte de mon grand-père, j’ai dû faire le deuil de lui mais aussi de mon enfance. »

Pulsion de vie

« Le deuil c’est du vivant. On ne fait le deuil qu’en tant que vivant. »

« Mon neveu s’est suicidé à 33 ans. Les six jours avant qu’il soit enterré, avec la famille, on  a bu, mangé et écouté de la musique. Il avait prévu sa mort en achetant tout ce qu’il fallait chez lui. C’était sa façon à lui de nous dire : « Faites la fête ! »

« Une collègue a perdu son fils il y a une quinzaine d’année, dans un accident de surf. Le soir de la mort, elle et son mari ont fait l’amour toute la nuit. C’était très physique. Les corps exultaient. Ca les a aidés.»

Le Café Psy : «Psychiquement dans les phases de deuil nous sommes très vivants. Statistiquement, il y a énormément de rapports sexuels quand une personne meurt. On pourrait croire que la mort nous fait sombrer alors qu’il y a  une pulsion de vie qui se réveille. »

Le sens

« Mon père s’est effondré dix secondes à la mort de sa femme parce qu’il croyait en Dieu. Il a mieux tenu le coup que nous grâce à Dieu. »

« Mon père disait à propos de ma mère : « je vais la retrouver » et il y croyait vraiment. »

« Pour moi la foi, c’est quelque chose d’important, voire vital. Ça m’a probablement aidé à rejoindre cette zone de paix. Ca n’a pas fait l’économie de la souffrance et la tristesse, mais ça donne du sens. »

« Il y a deux parties en moi. Une qui  croit en Dieu et une autre, très cartésienne, qui régulièrement pense à l’état d’avancement de la décomposition du corps de ma mère. Malgré tout, la foi m’a aidée. »

« En tant que non croyant, la mort est quelque chose de particulier. J’ai senti physiquement pour ma mère qu’elle se dissolvait dans mon corps quand elle est morte. Je l’ai récupérée : c’était ma manière à moi de m’en sortir.»

« Je cherche du sens dans le deuil. Si je n’ai pas de croyance en une vie après la mort, le deuil amène quelque chose de définitif et irrémédiable. L’ensemble de la vie pourrait alors ne pas avoir de sens. Ce n’est pas une réponse importée d’ailleurs. »

« Il y a aussi un non-sens à la vie éternelle. Rien ne peut vivre éternellement. En fait, ça s’arrête. Ça fait partie de la vie. »

« Je suis devenu bouddhiste. J’ai vécu un deuil difficile. Reconnaître ce que l’autre nous a apporté et ce qu’on lui a apporté m’a beaucoup aidé. On change sa relation avec la personne, ce qui n’empêche pas la douleur. »

Le Café Psy : « On peut recréer une nouvelle relation, différente, intérieure, à  partir du moment où on a compris ce qu’était l’autre pour nous. »

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