Sous emprise : victime ou complice ?

Le Café psy du 07.12.17

Je commencerai par cette citation du psychanalyste Paul-Claude Racamier : il « n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne. »

Avant d’entrer dans ce texte, j’aimerais clarifier un point sémantique. Nous parlerons ce soir de pervers, de narcissiques, et, bien sûr, de pervers narcissiques.

Les trois montrent certaines similitudes dans leur fonctionnement, néanmoins, il me semble important de préciser que la perversion narcissique, que les medias ont un peu galvaudée depuis quelques années, est une véritable pathologie, dieu merci rarissime, dont la particularité est de viser sciemment la destruction psychologique de sa victime, seul moyen pour lui de se sentir exister. Les relations d’emprise ne sont pas toutes le fait de pervers narcissiques. A vrai dire, elles sont si répandues que c’est en fait rarement le cas. Ce qui différencie les pervers narcissiques de personnes au comportement pervers, c’est la conscience de ce qu’ils font, la planification, et l’absence totale de culpabilité malgré cela.

La relation d’emprise, de façon plus générale, fait appel aux mêmes mécanismes que la perversion narcissique, à ceci près, et c’est une nuance de taille, que planification, conscience et bonne conscience, justement, sont moindres, voire même absentes. Ce qui n’exonère pas pour autant les agresseurs de leur responsabilité, que les choses soient claires.

Nous nous intéresserons, ce soir, plus aux victimes qu’aux agresseurs. Et je vous présenterai la relation d’emprise dans sa version la plus extrême, c’est à dire en effet celle du pervers narcissique et de sa victime puisqu’en psychologie, la pathologie n’est jamais qu’une question de curseur. Chacun pourra y reconnaître des choses et en écarter d’autres.

Qu’est-ce que l’emprise ?

A quoi reconnaît-on une relation d’emprise ? C’est très simple : Il s’agit d’une relation qui nous fait du mal et dont, pourtant, nous ne pouvons pas sortir.

La victime sera bien souvent une personne qui culpabilise naturellement de tout. C’est à dire quelqu’un dont le scénario de vie induit soit le sacrifice de soi au profit de l’autre par manque de légitimité, soit l’offrande de soi par manque d’amour.

Et en effet, la victime devient totalement dépendante du pervers car il lui offre ce dont elle a un besoin vital : la certitude qu’il ne peut pas vivre sans elle. Ce qui est vrai, d’une certaine manière. Cela peut se décliner sous des formes différentes selon que l’emprise se situe dans le couple, dans le milieu professionnel, dans l’amitié (si l’on peut parler d’amitié dans ces cas-là) ou au sein de la famille, mais dans tous les cas, le pervers donne à sa victime le sentiment d’importance qu’elle est incapable de s’accorder à elle-même.

Et pour conserver cela, elle est prête à tous les renoncements. Depuis sa dignité morale jusqu’à son intégrité physique.

Une mutilation psychique

Ensuite, l’emprise se maintient par l’isolement, l’autorité, et surtout, par la disqualification des pensées et des perceptions que le sujet a de ses propres sensations. Comme un soldat qui verrait sa jambe arrachée et continuerait à répéter : « Ce n’est pas grave. » Et cette entreprise de disqualification est facile puisque la victime elle-même ne demande qu’à y croire. Mais ne nous y trompons pas, il s’agit là d’une véritable mutilation psychique. L’agresseur envahit totalement l’espace psychique de sa victime.

Pour autant, cela suffit-il à expliquer que les victimes restent sous l’emprise de leur bourreau jusqu’au péril de leur vie psychique et parfois de leur vie tout court ?

Il faut remonter aux premiers mois ou années de vie pour trouver les fondements de ce comportement.

La relation de d’emprise ramène à la dépendance du nourrisson et au regard inconditionnel de sa mère. On voit d’ailleurs certaines victimes s’installer dans la soumission avec un empressement qui rappelle l’avidité orale du bébé. En thérapie, par exemple, cela se reproduit avec leurs tentatives réitérées d’obtenir du psy des injonctions qu’elles pourraient intérioriser passivement.

Une faille narcissique

Mais au delà des premiers mois de vie, c’est toute la construction narcissique de l’enfant, dans le regard de ses deux parents, qui est en cause. Plus l’enfant aura été dénié dans ce qu’il est, humilié, maltraité, moins son sentiment d’exister en tant que personne se développera. Adulte, il aura alors constamment le besoin de se reconnaître dans le regard de l’autre. C’est ce qui amène les victimes à reproduire le discours de leur agresseur, à adhérer à ses idées, et à se reconnaître dans ce qu’il projette sur elles. Car elles ne savent pas qui elles sont.

Les pervers sont extrêmement clivés. Socialement, ce sont souvent des personnes très bien insérées, intelligentes, brillantes même, sympathiques. Ils cultivent leur image et cela leur réussit. Dans l’intimité, ils deviennent odieux. Et ce clivage fonctionne parfaitement car le ou la partenaire du pervers ne fait jamais rien publiquement pour remettre l’image en question. Au contraire, elle la défend, sincèrement, parce qu’elle reproduit, à l’intérieur d’elle-même, le clivage de son agresseur entre l’objet idéal d’un côté et l’objet persécuteur de l’autre.

Les ressorts de la victime

Lorsqu’une personne arrive en thérapie avant de s’être sortie de la relation d’emprise, ce qui est frappant, c’est la façon dont elle annule la violence dont elle est victime. Elle en minimise la gravité et surtout, elle en endosse la responsabilité.

C’est ce qu’on appelle l’Idenfication à l’agresseur. La victime intériorise la culpabilité que ne ressent pas l’agresseur. Et, plus grave, cela justifie sa position de victime. Après tout, se dit-elle, j’ai certainement mérité ce qui m’arrive. De la même façon que, enfant, elle intégrait les reproches et les maltraitances de ses parents sans les questionner.

Par ailleurs, derrière, la violence, les victimes s’obstinent souvent à voir la souffrance de l’agresseur. Et à vouloir la soigner, la réparer.

Quitter, ce serait renoncer à cet idéal. Et accepter l’impuissance. En effet, deux questions les taraudent : « Qu’ai-je fait ? » et « Que puis-je faire ? »

En admettant que, d’une part elles n’y sont pour rien, et d’autre part, n’y peuvent rien, elles mettraient leur toute puissance en échec. Autrement dit, derrière la soumission et la culpabilité se cache paradoxalement l’omnipotence.

Enfin, il faut se rendre compte que la victime d’une relation d’emprise reproduit ce qu’elle sait de l’amour. On l’entend souvent dire : « oui, il est fou. Il est fou de moi ! » Aurait-elle seulement l’impression d’être aimée dans une relation où elle ne serait pas persécutée, harcelée ou soumise à une jalousie maladive ?

Car au fond, c’est ainsi que ces victimes ont été aimées par l’un ou l’autre de leur parents, à coup d’intrusion, d’humiliation, de violence. Pour elles, c’est cela, l’amour.

Comment en sortir ?

Elles ne pourront s’extirper de ce schéma qu’en prenant conscience de ce qu’elles reproduisent. En rapprochant l’image du père ou de la mère de ce mari, ce patron ou même cet ami.

Et en prenant conscience de la rage meurtrière inconsciente qui les anime.

Et ça, c’est une prise de conscience terrible, car il s’agit du désir de tuer le parent sans lequel on ne peut pas vivre. Un conflit interne tout simplement insoluble. Le psychanalyste Didier Anzieu avance même que la culpabilité persistante des victimes sert à cela : camoufler les pulsions meurtrières.

Avec ce tableau complexe, on voit bien que la seule issue pour les victimes, c’est le regard d’un autre, un enfant, un collègue, un ami, un regard bienveillant. Il leur est impossible d’en sortir seule dans la mesure ou leur faculté de jugement est anéantie.

Il leur faudra d’abord valider leur perception des choses et d’elle-même, avant de comprendre que derrière leur bourreau, se cache l’autre persécuteur, la figure du passé, l’auteur d’autres violences.

C’est quand il réapparaît que l’asservissement disparaît et que commence le véritable travail de reconstruction, à partir du traumatisme originel.

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