Présidentielles : comment les vivons-nous ?

Le Café Psy du 06.04.17

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C’est un thème un peu inhabituel que nous abordons aujourd’hui. Et pourtant, il y a une vraie dimension psychique dans les débats qui nous agitent à l’approche des Présidentielles. Cette élection-ci, plus qu’aucune autre dans la cinquième République, nous confronte à la question de nos valeurs.

Les cartes politiques ont été rebattues avec la sortie de tous les candidats « prévus » qui nous auraient permis de voter selon nos traditions, en nous posant, certes quelques questions, mais a priori sans trop de conflits internes. Nous voici donc devant une situation inédite, c’est à dire un combat plus idéologique que jamais, ou chacun des cinq candidats les plus importants présente des contradictions : Marine Le Pen, chef de file d’une extrême droite agressive et désinhibée mais qui affiche le slogan d’une « France apaisée » ; une droite traditionnelle de tendance très conservatrice, mais menée par un François Fillon que les affaires mettent en discordance avec ce qu’il défend ; un Benoît Hamon qui revendique le rassemblement, mais dont le positionnement à la gauche de la gauche divise profondément les socialistes ; un Jean-Luc Mélenchon qui plaide pour une France insoumise, mais se pacifie au fur et à mesure de sa progression dans les sondages, et enfin, un Emmanuel Macron qui met un coup de pied dans la fourmilière en cassant tous les codes politiques mais avec un cv et une tête de premier de la classe qui contredisent son volontarisme révolutionnaire.

Comment nous y retrouver et mettre en accord notre coeur et notre raison, où qu’ils se situent sur cet échiquier ? C’est la réflexion que je vous propose ce soir à partir de cette question des valeurs.

Quittons donc la politique un moment.

Qu’est-ce qu’une valeur ?

Je commencerai par cette définition du psychologue américain Milton Rokeach : « Une valeur est une croyance durable, qui influence notre conduite ou nos but d’existence, et que l’on préfère, personnellement ou socialement, à des conduites ou des buts opposés ou contraires. » J’y ajouterai personnellement qu’une valeur est une conception implicite ou explicite de l’estimable et du désirable, et qu’elle peut être propre à un individu, à une famille, ou à un groupe social. Autrement dit, les valeurs définissent peu ou prou notre approche personnelle du bien et du mal. Elles interviennent dans l’orientation de nos choix, elles justifient nos comportements et nous permettent de nous adapter à notre façon (que ce soit en adhésion ou en opposition) au contexte social.

Les valeurs sont d’ailleurs à différencier des normes sociales, même si les deux peuvent parfois se rejoindre. On se conforme à la norme par obligation, par confort ou par intérêt, et au sein d’une situation déterminée, alors que l’on agit selon nos valeurs par choix et sans lien obligé avec une situation immédiate. Les normes se construisent à partir des valeurs, et non pas l’inverse. Et elles n’ont de sens que dans le collectif, ce qui n’est pas le cas des valeurs qui perdurent dans la solitude.

Quand le bébé découvre la haine et la culpabilité

Comme nous sommes au Café Psy, et non pas au Café Socio ou Philo, voyons donc comment se constituent nos valeurs au cours de l’enfance et de l’adolescence.

La construction se fait au carrefour de deux mouvements : l’un qui va de l’intérieur – moi- vers l’extérieur -l’entourage. L’autre qui va de l’extérieur vers l’intérieur.

Commençons par l’intérieur- extérieur. Pour les psychanalystes, la vie psychique est principalement fondée sur les deux forces opposées que sont l’amour et la haine. Dans les premiers mois de sa vie, le nourrisson est pris en tenailles entre ces deux pulsions qui lui paraissent inconciliables. Pour dire les choses simplement, quand sa mère le nourrit et le câline, il est éperdu d’amour et de bien être. Quand elle le frustre, il ressent une immense haine qu’il vit comme destructrice au sens propre. C’est à dire qu’il fantasme que cette haine pourrait tuer sa mère. Le bébé vit cela comme très angoissant puisque il a besoin d’elle pour survivre.

Dans un environnement suffisamment bon, la mère contient ces pulsions agressives et, jour après jour, prouve à son enfant qu’elle résiste très bien à ses assauts et que les moments d’amour entre eux suffisent à réparer ceux de haine. Le moi de l’enfant s’enrichit et commence à accepter l’ambivalence, c’est à dire la coexistence en lui de ces sentiments contradictoires. C’est à ce moment-là, aux alentours de six mois et jusqu’à environ deux ans, qu’apparaît la notion de culpabilité. Le petit a compris que sa haine ne détruit pas, mais que néanmoins elle fait mal. Il éprouve maintenant le besoin de réparer lui-même l’objet qu’il a agressé. Il devient actif dans ses manifestations d’amour et prend petit à petit confiance dans ces capacités réparatrices. Cela lui permet d’une part de mieux supporter sa culpabilité à l’égard de ses pulsions destructrices, et d’autre part, d’intégrer la notion de responsabilité : « ce que je fais a des conséquences ». C’est ainsi que se façonnent les premiers schémas du bien et du mal. A condition, bien sûr, qu’un entourage aussi cadrant que bienveillant l’aide à traverser et à accepter ces moments difficiles pour lui. Dans le cas contraire, l’enfant soit refoulera son agressivité, jusqu’à devenir passif, soit refoulera sa culpabilité au risque de construire une notion du bien et du mal défaillante.

Des règles au valeurs

C’est le mouvement extérieur-intérieur qui va, sur ce socle, définir les valeurs. Leur internalisation se déroule en trois grandes étapes : la perception, l’acceptation, et l’identification.

La perception commence dès la naissance, dans l’observation des comportements familiaux, et au cours des deux ou trois premières années, avec la découverte des règles qui régissent les comportements familiaux et sociaux, à la maison, à la crèche, à la maternelle ou dans les autres familles. On voit bien comment cela s’articule en simltané avec la mise en place des notions de culpabilité et responsabilité.

Vient ensuite le temps de l’acceptation. Jusqu’à la pré-puberté, environ dix ans, l’enfant se soumet plus ou moins aux valeurs portées par ces règles. Qu’il les observe strictement ou pas, il les connaît, les accepte en tant que règles et sait qu’il les transgresse lorsque c’est le cas. En revanche, il ne les questionne pas. Il se soumet non pas parce qu’il est d’accord mais parce qu’il craint plus ou moins une sanction. Il ne transgresse pas par opposition mais en vertu du principe de plaisir. Les atentes de l’autre dans la relation lui sont encore assez étrangères.

Nos valeurs, c’est nous !

L’intentionnalité commence avec la puberté. C’est le début de l’identification aux valeurs. Entre onze et treize quatorze ans, l’ado devient conformiste. Il veut bien faire, être aimé, accepté dans son groupe social. Il adopte par choix les valeurs de ses modèles : ses copains, ses stars préférées, sa famille… Son monde s’enrichit d’influences diverses.

A partir de quinze ans, l’esprit critique se développe. l’adolescent a emmagasiné suffisamment d’expériences personnelles, de relations, d’apprentissages, pour établir sa propre hiérarchie et trier et élaborer une concordance logique entre toutes les influences qu’il a subies. Il y intègre en outre les valeurs éthiques universelles (droits de l’homme, égalité, liberté, etc). Il s’est à présent totalement identifié à ses valeurs personnelles qui conduiront ses jugements, ses choix et ses comportements d’adulte.

Je répète une fois de plus que ceci est un modèle à partir d’une évolution dans un milieu suffisamment harmonieux, qui autorise l’enfant à penser par lui-même et à vivre ses émotions librement.

La « dissonance cognitive »

Que se passe-t-il quand une situation nous oblige à agir en désaccord avec nos valeurs ? Les sociopsychologues appellent cela la dissonance cognitive. Il en résulte un inconfort mental qui peut aller du simple malaise au conflit psychique majeur. Un exemple : Vous entendez un échange équivoque entre le mari de votre meilleure amie et une autre femme. Votre loyauté à votre amie vous pousse à l’en avertir. Votre attachement à la discrétion vous en dissuade. L’importance que vous accordez à la fidélité vous y pousse à nouveau tandis que votre horreur de la délation vous en détourne à son tour. C’est insoluble.

Or notre psychisme a un absolu besoin d’équilibre et va tout faire pour réduire les dissonances, jusqu’à développer des stratégies parfois surréalistes afin de trancher. Ici vous pourrez par exemple vous convaincre vous-même qu’après tout, il vous semble bien que votre amie elle-même drague volontiers d’autres hommes et que si ça se trouve, elle n’est pas si fidèle ou, au contraire, que vous n’avez peut-être pas bien entendu ou bien compris.

Dans d’autres cas, lorsqu’un événement vient contredire une croyance et heurter vos valeurs, vous ferez en sorte de ne pas y prêter foi, en cherchant toutes les confirmations possibles, jusqu’aux plus invraisemblables. C’est ainsi que naissent les théories du complot ou que se maintiennent les croyances créationnistes, par exemple.

Je vous laisse maintenant évoquer votre propre système de valeurs, les fondements sur lesquels il repose, les dissonances cognitives que vous avez pu connaître. La campagne présidentielle en suscite quelques unes, mais vous êtes bienvenus à élargir le champ de la réflexion si vous le souhaitez.

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