Mon psy et moi

Le Café Psy du 06.09.18

Le psychothérapeute américain Irvin Yalom a construit toute son approche autour de cet axiome : « C’est la relation qui soigne ».

Mais de quelle relation parle-t-on ? Comment définir le lien que l’on entretient avec son psy ?

Est-il un ami ? Certainement pas. Un conseiller ? Encore moins – en tout cas, il ne devrait pas l’être. Un déversoir de nos colères et de nos plaintes ? Parfois mais pas seulement. Un confident ? Incontestablement, mais qui ne se confie pas en retour.

Peut-être est-ce là, d’ailleurs, ce qui rend la relation patient / psy si singulière : son asymétrie. J’y reviendrai.

Cette relation si difficile à expliquer à ceux qui ne la vivent pas est pourtant le moteur principal d’une thérapie.

A propos du « transfert »

Dans la psychanalyse classique, où le patient s’allonge sur un divan avec le psy derrière lui, ce dernier reste relativement silencieux, ou à tout le moins, discret. C’est ainsi que le patient, qui ne voit ni n’entend son psy, peut lui prêter tous les sentiments possibles et, ainsi, rejouer sa propre histoire. C’est ce que l’on appelle le transfert. Le travail du psychanalyste est d’interpréter le transfert, c’est à dire qu’à certains moments choisis, il fait prendre conscience à son patient que ce qu’il éprouve dans le présent de la séance s’apparente à des affects de l’enfance, le plus souvent vis à vis de ses parents.

Mais aujourd’hui, les psychanalystes purs et durs qui ne travaillent qu’avec le transfert sont en voie de disparition. De plus en plus, les thérapeutes parlent, échangent, questionnent, font des hypothèses, voire, dans certaines approches, touchent physiquement leur patient, comme en gestalt ou dans les thérapies émotionnelles.

Et ce qui apparaît, c’est que… cela n’empêche nullement le transfert d’opérer !

Nous continuons d’aimer ou de haïr notre psy, nous cherchons à lui plaire, à le séduire, même, pour certains ; nous le protégeons ou nous l’agressons ; nous passons de la colère quand il nous frustre à la gratitude lorsqu’il nous comprend et nous soutient, parfois sans transition. Bref, nous retrouvons avec lui tout ce que nous avons vécu enfant, exactement comme dans une psychanalyse « orthodoxe ».

Un accueil inconditionnel

A ceci près, que le psy s’engage de façon beaucoup plus personnelle, montre certaines émotions, et surtout, fait preuve d’empathie.

Dans tous les cas, le psy offre une présence et une écoute inconditionnelles et sans jugement. C’est cela qui donne son caractère unique à la relation. Une relation que l’on ne trouve nulle part ailleurs, puisque tout autre lien sera fait d’attentes réciproques et d’enjeux affectifs. C’est pourquoi l’argent a tant d’importance dans le dispositif thérapeutique. Il exonère le patient de toute dette, ce qui lui donne la liberté de tout dire, y compris ses affects négatifs et ses plus grandes hontes, ou la liberté, justement, de ne pas tout dire.

C’est parce que le cadre, tarif et durée des séances, est immuable qu’il est rassurant et autorise le patient à être lui-même dans toutes ses dimensions.

Mais qu’en est-il du côté du psy ?

Depuis le début de ce texte, j’ai employé un « nous » qui m’incluait comme patiente. Je change de camp et m’inclue maintenant dans un « nous » de psychanalyste. Etant entendu que je ne parle pas au nom de tous les psys mais uniquement de ceux qui partagent certaines de mes convictions.

J’ai évoqué les sentiments des patients, amour, haine, colère, frustration, gratitude… Les patients ignorent souvent que nous les éprouvons également. Ce qui nous distingue, c’est peut-être une moindre intensité de ces affects. D’abord, le patient n’a qu’un psy alors que nous avons de nombreux patients. Ensuite, non seulement il vit puissamment ses affects, mais il peut – et devrait – les exprimer à son psy. L’inverse n’est évidemment pas possible. Qu’un patient sente que nous l’aimons est une chose, qu’il le « sache » en est une autre. Ce serait une restriction de sa liberté. Et je ne parle pas de la frustration ou de la colère qui parfois nous anime ! Il va sans dire que nous les gardons pour nous.

Enfin, la nature professionnelle de la relation nous fait constamment osciller entre les émotions que suscitent en nous nos patients et la réflexion que nécessite l’analyse, ce qui nous tient forcément à une certaine distance, indispensable à la thérapie. Nous ne sommes pas dans le partage mais dans l’écoute, ce qui est très différent.

Pour autant, notre investissement est réel. Réel et profond. D’où l’importance d’examiner nos propres ressentis et d’en comprendre les sources.

Car la relation est transférentielle des deux côtés. Elle sollicite chez les deux protagonistes des éléments affectifs, issus de leurs enfances respectives. Et c’est, entre autres, cela qui est thérapeutique. Une chose indéfinissable qui se situe là, quelque part entre le psy et son patient, comme une troisième entité constituée de leurs deux inconscients qui se répondent en écho.

Cet aspect de la relation ne se verbalise pas, il se sent confusément. Il agit de façon souterraine. Et ce n’est pas le moindre des mystères de la relation thérapeutique.

 

Ce contenu a été publié dans Introductions, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *