Fêtes de famille : réjouissances ou souffrance ?

Le Café Psy du 13.12.18

Qu’y a-t-il de plus simultanément joyeux et périlleux qu’un dîner de famille ? A l’approche des fêtes, un climat paradoxal se diffuse entre le désir de ces réjouissances et l’anticipation d’une certaine souffrance. Cette dernière s’exprimant dans des sentiments de contrainte, d’inquiétude, ou de lassitude, voire même d’angoisse, pour certains.

La société participe à l’injonction de réjouissance. D’abord parce que dans notre culture de tradition catholique, ces fêtes qui célèbrent la naissance du Christ, sont synonymes de paix et de partage. Mais aussi parce que les rues s’habillent de lumière et que publicités, vitrines et reportages nous vendent la joie des enfants et l’amour familial.

De l’importance des rituels

Symboliquement, Noël et la Saint Sylvestre sont des rituels, autant sociaux que familiaux. Comme tout rituel, ils structurent le temps et le groupe. Le temps, parce qu’ils marquent la fin de l’année et un renouveau à venir – le premier de l’an est même un rituel mondial. Le groupe, car ces retrouvailles familiales obligées signent notre appartenance au clan. Elles célèbrent l’amour et se veulent joyeuses et généreuses afin de réassurer la cohésion et de renforcer le mythe familial. Comme si une fois par an nous renouvelions un serment d’allégeance qui échange protection contre loyauté.

Voilà pour les enjeux symboliques de groupe. Les rituels sont structurants et on ne peut vivre sans.

De merveilleux fantasmes

Mais alors, pourquoi, au niveau individuel, les fêtes suscitent-elles une appréhension aussi diffuse qu’indéfinissable ? Parce qu’on est dans le fantasme. Le souvenir émerveillé des Noëls d’enfant ne passe plus le cap du réel d’aujourd’hui et, confusément, on le sait. A Noël, tout doit être beau et parfait. On doit s’aimer, se faire des cadeaux et être content. L’un des membres de la famille s’est mis en quatre pour préparer un repas généralement très compliqué et coûteux. On ne se sent pas le droit de gâcher la fête.

D’autant plus que la famille incarne, dans l’imaginaire, un îlot de confiance, un refuge. Toutes images issues de l’enfance. Et du mythe. Or ce n’est pas vrai : la famille est surtout un lieu de pulsions, de rivalités, d’enjeux de places, de frustrations et de rancœurs, qui sont aussi tenaces que les images de bonheur. Tenaces, précisément parce qu’elles viennent de l’enfance et sont profondément ancrées en nous.

C’est cette ambivalence qui crée le malaise. Et comme nous ne nous donnons pas le droit de l’exprimer ouvertement, cela nous étouffe. C’est ainsi que, justement ce soir-là, certains explosent à la moindre anicroche. Mais le déclencheur apparent de l’explosion cache bien souvent des raisons plus intimes.

Rejouer l’enfance

Les retrouvailles familiales sont des moments très codifiés. Chacun s’y voit situé dans une place définie par le groupe et qui se réfère aux histoires vécues en commun. Chaque membre essaie de correspondre à l’image que les autres ont de lui. Or, dans un certain nombre de cas, ces représentations sont très éloignées de la réalité. Beaucoup ressentent alors un conflit entre les injonctions familiales et leur personnalité propre. Dès lors, les moments familiaux sont vécus comme des moments théâtraux où il importe d’enfiler le masque attendu par le groupe. Mais ce n’est pas si simple, car ce théâtre repose sur des fondements bien réels.

Les repas de famille fonctionnent comme une machine à remonter le temps qui nous ramène sans transition à l’enfance. Ce phénomène, les psy l’appellent la régression. Nous redevenons littéralement, dans notre corps d’adulte, l’enfant de notre système familial, propulsé dans le rôle, la place et les relations que chacun a construit, conquis ou subi.

Dans ce mouvement de régression, nous n’agissons plus comme l’adulte que nous sommes devenu. Nous nous surprenons à nous agacer, à nous énerver, à penser « ça y est ça recommence, il n’y en a que pour lui ou pour elle », «Lui» ou « Elle », c’est à dire le frère, la sœur, la cousine. Ou bien : « Allez, c’est reparti, encore des remarques sur l’éducation des enfants ou sur mon travail, à l’entendre, je ne fais jamais rien comme il faut. » Exactement comme lorsque nous avions sept ou huit ans.

L’heure des comptes et des rivalités

Dans le jeu des rivalités, chaque fête de famille est en outre l’occasion d’un petit bilan sur le thème « que sommes-nous devenus ? ». Par exemple, c’est l’histoire de notre petit frère qui a raté ses études alors que nous réalisons une belle carrière. N’empêche, c’est quand même lui qui est au centre et nous avons la sensation que nos parents ne reconnaissent toujours pas notre réussite. Mais mettons-nous un instant dans la peau du petit frère : il aura beau cristalliser l’attention, il se sentira, de son côté, un peu minable de ne pas connaître une aussi belle réussite que nous, d’autant plus que, pour compenser, nous n’avons de cesse de lui raconter nos succès. Autrement dit, là où nous le voyons comme le petit préféré, lui perçoit l’attention dont il est l’objet comme une marque d’inquiétude et nous voit comme celui qui ne pose jamais problème. Au final, dans ce jeu familial, il n’y a pas souvent de gagnant.

Et dans notre rôle d’adulte, de parent, est-ce que nous ne participons pas, nous aussi, à ce jeu ancien ? Que demandons-nous à nos enfants lors de ces réunions de famille ? Peut-être de jouer eux-aussi à la famille parfaite, afin de prouver notre compétence de parents à ceux qui en doutent. En effet, nos enfants ont beau être en bonne santé, plutôt bien élevés et avec des résultats scolaires corrects, notre propre mère aura peut-être tendance à ne voir que la tâche sur leur belle chemise blanche ou le fait qu’ils ne tiennent pas en place. Et nous voilà encore ramenés à nos insuffisances.

Et les cadeaux ?

Noël, c’est aussi la valse des cadeaux. Là aussi, que d’enjeux ! Lorsque les parents offrent des cadeaux à leurs jeunes enfants, ils n’attendent a priori d’autre retour que leur joie. Les paquets sont autant de marques d’amour, même si parfois ils indiquent aussi, un peu, la hiérarchie et la qualité de cet amour, d’un enfant à un autre.

A l’âge adulte, on entre dans la logique du don contre don. S’y exprime d’une part l’image que l’on veut donner de soi, par le prix, la taille, ou la nature du cadeau. Image qui s’adresse aussi bien au destinataire qu’aux autres personnes présentes Mais le cadeau parle aussi de ce qu’on perçoit de l’autre, de la façon dont on pense à lui. Nous avons tous déjà reçu des présents dont nous nous sommes demandé s’ils nous étaient vraiment adressés.

Autrement dit, le cadeau exprime la personnalité de celui qui l’offre autant que l’attention réelle portée à celui qui le reçoit. Les échanges viennent ainsi matérialiser les lignes de force et la répartition du pouvoir au sein de la famille.

Le choc des identités

Enfin, nous sommes un puzzle composé de plusieurs identités : parent de nos enfants, enfant de nos parents, petit-enfant de nos grands-parents, frère ou sœur, professionnel fidèle à la culture familiale ou en rupture avec elle…. Dans les réunions de famille, toutes ces identités sont sollicitées en même temps, ce qui n’est jamais le cas dans la vie extérieure. Du coup, on se retrouve dans la confusion et sur les nerfs. Il faut répondre à la fois à une sœur qui vous humilie ou vous adule, une mère qui vous surprotège ou vous juge, un père qui ne vous regarde pas, ou trop, mais aussi des tantes à qui il faut raconter ce qu’on « fait » en ce moment, des enfants qui nous sollicitent, un filleul qu’on aime bien gâter alors qu’on maintient les principes d’éducation avec notre progéniture. Tout ces rôles s’entrechoquent au mépris de leur possible incompatibilité entre eux. Sans parler du champagne qui lève les inhibitions et ne nous aide pas à gérer tout ceci calmement.

Après un tableau pareil, la question peut se poser : « j’y vais ou pas ? » Mais c’est compter sans la loyauté familiale d’une part et la culpabilité d’autre part. Qui n’a jamais entendu sa mère ou sa grand-mère s’exclamer : « Tu ne peux pas nous faire ça !» Alors si on ne peut pas…

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