Être « soi-même », qu’est-ce que ça veut dire ?

Le Café Psy du 14.03.19

Que veut dire « être soi-même » ? La réponse à cette question, ainsi posée, ne peut être que : « rien ». Cela ne veut rien dire, ou tout au moins, être soi-même ne veut rien dire sans l’idée de l’autre. C’est la présence, le regard de l’autre, qui nous font exister. C’est l’autre qui nous permet de sentir qui nous sommes, nos désirs et nos limites.

Et cela commence dès les premières semaines de notre vie : c’est en effet un autre, ou plutôt une autre, notre mère, qui nous permettra, ou pas, d’accéder à notre « vrai soi », notre « vrai self » disent les psychanalystes, en accueillant, en interprétant, et en répondant à nos émotions et à nos besoins pour ce qu’ils sont.

En d’autres termes, je reprends ici un concept de Donald Winnicott : celui de la mère « suffisamment bonne ».

Lorsque l’enfant paraît

Pour comprendre cette idée, il faut s’imaginer ce qu’est un nourrisson qui vient au monde. Il ne sait rien, n’a aucun mot pour identifier ce qu’il ressent, il ne fait même pas la différence entre lui et sa mère, entre le « moi » et le « non moi », puisque tout ce qu’il sait du monde à ce stade, il l’a appris dans son ventre. En gros, pour comprendre un bébé, il faut savoir que, par exemple, lorsqu’il a faim et que le sein ou le biberon arrive, il croit que c’est sa sensation de faim qui a créé directement la réponse. Et il en va de même pour tous ces besoins, qu’ils soient physiologiques ou affectifs.  Et il est essentiel qu’il continue de le croire jusqu’à ce qu’il possède une connaissance suffisante de son environnement terrestre pour comprendre tout seul, sans angoisse, que sa mère est un être séparé et que ses bienfaits proviennent d’une décision externe à lui. On appelle ça l’omnipotence infantile ou l’illusion de toute puissance.

Quel rapport, me direz-vous, avec « être soi-même » ?

La mère « suffisamment bonne », renvoie par ses expressions et par le ton de sa voix ce qu’éprouve l’enfant. Elle lui dit : « tu as faim, tu as froid, tu es mouillé », et apporte assez rapidement la solution adéquate. C’est ainsi que le bébé apprend, petit à petit, à reconnaître, à identifier ses besoins, à leur donner un nom, et à comprendre la réponse nécessaire. Il prend confiance en lui-même, en cette vie qui vaut la peine d’être vécue et en ce monde qui vaut la peine d’être connu, ce monde qui répond si bien à tous ses besoins. On voit donc qu’il est essentiel que dans les premières semaines de la vie de ce bébé, la mère s’adapte activement à lui. La plupart des mères le font d’ailleurs assez naturellement car les hormones de la grossesse les connectent aux besoins de leur bébé qu’elles sentent et comprennent instantanément.

La qualité des soins et de l’attention de la mère aura donc une grande influence sur le futur amour de soi, ce que la psychanalyse appelle l’investissement narcissique de soi-même.

Le besoin de reconnaissance

Mais comptera tout autant la façon dont le petit est considéré. Voici ce qu’écrit Winnicott à ce sujet : « Que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de sa mère ? Généralement, ce qu’il voit, c’est lui-même. En d’autres termes, la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. » Fin de citation. C’est dans le reflet que lui tend sa mère que le bébé se découvre lui-même et se différencie. Selon que ce visage exprime de l’amour, de la joie, de la fierté, du rejet ou de l’angoisse, l’enfant se sentira plus ou moins accueilli, plus ou moins aimable. Un jeu de miroir indispensable à la création du sentiment de soi. 

En effet, un bébé a un besoin absolu d’être reconnu pour ce qu’il est. « Ce qu’il est », c’est à dire, à cet âge, des émotions, des sensations, et leur expression non verbale. Autrement dit, il doit sentir qu’il a le droit d’exprimer sa colère, ses frustrations, sa haine parfois, sans se sentir menacé de perdre l’amour ou la considération de ses parents. C’est ce qui lui permettra de développer un « sentiment de lui-même sain », à savoir la totale certitude que les sentiments et désirs qu’il éprouve lui appartiennent en propre. C’est dans cette certitude que l’être humain puise sa force intérieure et son respect de lui-même. Il se sent, à tout jamais, autorisé à vivre ses émotions négatives, ses peurs, ses colères ou son désespoir, sans trembler d’ébranler quelqu’un. Il sait ce qu’il veut, ce qu’il ne veut pas, et se permet de le manifester sans redouter d’être détesté ou abandonné.

Et si la mère ne s’adapte pas ?

Mais qu’arrive-t-il lorsque la mère est non seulement incapable de deviner les besoins de l’enfant et d’y répondre, mais se trouve en outre elle-même en demande de réassurance ? Ce n’est plus lui qui se reflète dans ses yeux à elle, mais elle et sa détresse dans les siens. Le bébé sent qu’il ne peut pas compter sur la stabilité et la continuité dont il a tant besoin. Pour les préserver et assurer sa survie, il privilégiera donc la réponse aux demandes informulées de sa mère plutôt que ses propres besoins.

Le temps passant, l’enfant perfectionne cette capacité d’adaptation, réprimant, sans même s’en rendre compte, ses sentiments négatifs pour protéger sa mère, perdant de plus en plus le contact avec ce qu’il ressent vraiment.

L’enfant se crée alors un « faux self » qu’il pourrait bien garder toute sa vie. Ce « faux self » est destiné à protéger le « vrai self », vécu comme dangereux et refoulé dans l’inconscient.  Il sera d’abord un « bon bébé » qui ne pleure pas, n’a pas mal, ne désespère pas ses parents. Puis un enfant souvent sage, soucieux de faire plaisir, de repérer les attentes des autres, et enfin un homme, une femme, en quête d’une reconnaissance jamais assouvie.

Depuis sa naissance, sa présence sur Terre s’est trouvée légitimée, non par la validation de ce qu’il est, mais par ce besoin vital que sa mère a eu, a peut-être encore, de lui. A l’âge adulte, il se sentira parfois comme « étranger à lui-même », vide à l’intérieur, éprouvant de grandes difficultés à savoir se situer, et il restera tributaire de la confirmation de lui-même par toute figure qui lui rappelle ses parents (conjoint, collègue, patron…).

Grandiosité et sur-adaptation

S’il est naturel d’adapter ses comportements à la vie sociale et professionnelle dans toutes ses dimensions, il l’est moins de faire fi de ses propres besoins dans les relations privées comme l’amitié, la famille ou le couple. Lorsque le faux self occupe trop de place, cette difficulté d’accès à soi-même aboutit à deux principaux symptômes : la grandiosité et la sur-adaptation, avec dans les deux cas un risque accru de dépression.

Le grandiose est admiré en tout lieu et toute circonstance. Il réussit brillamment, entretient son apparence, répond à tous les canons de son époque et de son milieu. Il s’admire d’ailleurs parfois lui-même tout autant. Il ne présente aucun trouble visible. Mais comme par hasard, ses proches, eux, souffrent souvent de manque d’estime de soi, voire de dépression. Cela lui permet, en les protégeant, de se sentir fort et indispensable. Et de se protéger lui-même par procuration inconsciente.

Il retrouve dans l’admiration qu’on lui manifeste la fierté qu’enfant il inspirait à ses parents.

Mais malheur à lui si une perte d’emploi, la maladie, un revers de fortune ou simplement l’âge qui avance et la beauté qui s’étiole viennent mettre à mal cette apparence triomphante. Le sentiment de sa valeur s’effondre aussitôt. Pour le grandiose, admiration équivaut à amour.

Le sur-adapté, lui, cherchera sans cesse dans la relation à être deviné et se placera en situation de dépendance à autrui, dans la quête d’une relation fusionnelle inconsciente. Se rendre indispensable est son credo, sa justification à être. Les besoins de l’autre, le plaisir de l’autre seront ses boussoles au détriment de ses propres choix. Il sera souvent et dans le désordre, un parent dévoué, un collaborateur idéal, un bon manager, un ami fidèle et serviable, un conjoint attentionné. Mais là encore, l’édifice est fragile et supportera difficilement une rupture, un reniement, ou même une simple désaffection.

Pour le grandiose comme pour le suradapté, toute situation difficile renvoie le sujet  à ces « mauvais » sentiments -colère, désespoir, rage – interdits dans l’enfance, et donc à la culpabilité d’avoir failli pour le suradapté, et pour le grandiose, à la honte d’avoir déçu.

Retrouver le « vrai soi »

Pour retrouver le sentiment de soi, il faut réapprendre à s’écouter, se mettre au centre de sa propre vie. Cela ne peut se faire que dans une relation d’accueil inconditionnel, comme une thérapie par exemple, ou une rencontre intime profondément bienveillante et désintéressée, un groupe de méditation, etc. Dans toute autre relation affective, particulièrement dans le couple, le partenaire ne peut pas – ne doit pas, d’ailleurs –  faire abstraction de ses propres besoins comme aurait dû le faire la mère, sans doute insécure, de cet ancien nourrisson. Mais grandiose ou suradapté, le jour ou celui qui souffrait d’un « faux self » comprend son histoire, la répare, et accède enfin à lui-même, il conserve intactes ses exceptionnelles capacités d’empathie et de compréhension intuitive. Celles-ci deviennent alors un terreau fertile qui nourrira ses relations interpersonnelles au lieu de le rendre dépendant.

 

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *