Être ou avoir un ami

Le Café Psy du 01.06.17

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Encore plus que la famille, les amis accompagnent les moments forts de l’existence. On fête avec eux les bonnes nouvelles, ils partagent les mariages et les anniversaires et nous soutiennent dans nos deuils et dans nos coups durs.

L’amitié est une composante essentielle de la vie affective. Elle est une passion, au sens étymologique du terme, « souffrir, subir, éprouver », car c’est avec nos amis que nous partageons les chagrins. Et c’est par nos amis aussi que nous en connaissons parfois de bien cruels, parce que cette relation si proche, si intime, que l’on tient pour inaltérable, connaît aussi des revers.

On dit de l’amitié qu’elle est inconditionnelle. L’est-elle vraiment ?

Pour le savoir, il faut remonter dans le temps et comprendre sur quoi se construisent les liens d’amitié.

Comme l’amour, l’amitié repose sur un choix d’objet qui ne doit pas grand-chose au hasard, mais dont les ressorts, la plupart du temps, échappent à notre conscience.

Premiers liens

Comme nous l’avons souvent évoqué ici, L’enfant découvre le lien dans sa relation avec sa mère et cette première expérience détermine toutes les suivantes qu’il s’agisse d’amour ou d’amitié.

En effet, la relation d’amitié, elle aussi, intègre les émotions des premiers soins reçus par la mère, la figure idéalisée du père, et les traces des toutes premières affections externes, de la crèche au collège. Elle comporte une part non négligeable d’idéalisation. Et en conséquence, parfois, de déception.

Comme l’amour, elle a ses raisons que la raison ne connaît pas. Autrement dit, lorsque Montaigne dit de La Boétie « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », la psychanalyse répond « Parce que c’est ma mère, ou parce que c’est mon père ». Ou justement, parfois, parce que « ce n’est pas ma mère ou mon père » ! Et aussi un peu de, « parce que c’est moi ! » Car il y a aussi, dans l’amitié, une part d’identification, de reconnaissance du même.

L’ami possède presque toujours quelque chose de nous, qu’il s’agisse de notre être ou de notre histoire, quelque chose que l’on a perdu ou qui nous a manqué, ou quelque chose qui nous ressemble. Il active souvent une part de nous qui nous fait nous sentir meilleur, qui nous répare. Ou encore qui nous maintient dans les croyances irrationnelles que nous entretenons à notre propre sujet. On voit donc que, dans presque tous les cas, l’amitié nous ramène à quelque chose de l’enfance.

Comment devient-on ami ?

Comme la relation amoureuse, elle permet de régler des comptes, de rejouer ou de réparer nos premières relations.

Pourtant l’amitié se différencie de l’amour sur plusieurs points.

D’abord dans la façon dont elle se constitue :

C’est le langage qui fait l’amitié. A la crèche, les enfants jouent ensemble, communiquent, échangent jouets ou tétine, mais dans un mouvement d’attachement, d’amour justement, qui n’a rien à voir avec l’amitié.

Pour devenir ami, il faut pouvoir poser des questions et rattacher les réponses à ses propres expériences. Même à trois ans. Ainsi, chacun mesure l’existence de l’autre dans ses ressemblances et ses différences. L’amitié repose sur des affinités très électives, beaucoup plus que l’amour – mais cela est un autre sujet !

Ensuite, l’amitié est le premier lien qui nous sort de la famille. C’est est un lieu de construction identitaire. Et ce à n’importe quel âge.

Dans le primaire, les amis nous apprennent la complexité des rapports humains.

Puis l’adolescence est l’âge de la « meilleure amie », exclusive, symbiotique. Celle avec laquelle on partage ses premières fois, ses petits secrets et ses angoisses.

C’est aussi une période où l’on fonctionne en bandes d’amis, soudées et régies par des codes vestimentaires, comportementaux ou lexicaux. Les amis d’adolescence sont essentiels dans la recherche de notre personnalité et dans la séparation d’avec les parents.

L’entrée dans la vie adulte se recentre autour du couple, des enfants, ou du travail, voire les trois en même temps, ce qui diminue le temps consacré à l’amitié. On devient plus exigeant, plus sélectif.

Au-delà de la quarantaine, les relations se dépassionnent. On protège plus ses amitiés que l’on sait désormais précieuses, on évite les conflits.Les vieux amis deviennent, en outre, les témoins privilégiés de nos vies dans toutes ses dimensions, puisque bien souvent nous leur confions ce que nous ne disons jamais à notre famille ou à notre conjoint. Car, dans la plupart des cas, l’amitié implique l’estime réciproque, l’absence de rivalité, la solidarité. Toutes choses dont on voit bien que le couple et la famille peuvent se passer.

Sociologiquement, on distingue trois façons de devenir ami.

La plus répandue est la connaissance progressive qui vient à force de se côtoyer. Mais que cela démarre au travail, dans un loisir, ou un cercle d’amis communs, l’amitié ne commence que lorsque l’on sort de ce terreau commun et que le lien se construit sur ce que l’on est et pas sur ce que l’on fait.

La seconde façon est plus rapide. L’amitié se fonde sur une situation intense partagée à un instant T plus ou moins long : une situation de crise comme une guerre ou une catastrophe, ou une période majeure de sa vie, l’enfance notamment ou le service militaire. Cela peut créer des liens très forts, souvent perçus comme indestructibles. Pourtant il s’agit en général de gens qu’on ne voit presque jamais et avec lesquels nous n’avons rien en commun.

Enfin, il y a les coups de foudre : on « tombe ami » comme on tombe amoureux, presque instantanément. Ces amitiés-là sont plutôt exclusives, on se voit beaucoup, on partage presque tout. C’est l’âme soeur, fusionnelle, presque aussi passionnelle que l’amour. Elles possèdent d’ailleurs souvent une teinte sexuelle inconsciente qui s’exprime symboliquement en partageant des plaisirs liés au corps, hammam, massages, sport, échange de vêtements, confidences sexuelles. Des amitiés de ce type, nous n’en avons d’ailleurs qu’une seule à la fois et elles dépassent rarement quelques années, ou alors elles changent de nature, comme dans un vieux couple. Et quand elles se terminent, c’est souvent mal, ou en tout cas douloureusement.

Une relation indéfectible ?

D ‘ailleurs, d’une façon générale, pourquoi de nombreuses amitiés se défont-elles ? Le plus souvent, à cause de changements de milieu, de couple, de ville, de travail, par une évolution naturelle…

Mais, comme je le disais au début de ce texte, l’amitié n’est pas inconditionnelle. Elle peut être décevante quand nos attentes conscientes ou inconscientes ne sont plus comblées. Elle connaît également ses ruptures.

La véritable amitié repose sur la confiance. Nous pardonnons beaucoup à nos amis, et ils nous pardonnent beaucoup aussi. Mais justement parce que nous en une forme de réparation de l’enfance, la trahison y est beaucoup moins bien tolérée que dans l’amour. Ainsi que tout ce qui est de l’ordre de la manipulation ou de l’utilisation.

Enfin, je ne me suis pas risquée à définir trop précisément l’amitié. Au fond, il me semble que la définition de l’amitié appartient à chacun d’entre nous. D’ailleurs sommes-nous pour l’autre l’ami qu’il est pour nous ? Sommes-nous le même ami avec tous nos amis ? Et, a contrario, nos amis nous apportent-ils tous les mêmes choses ?

Sans doute ne peut-on parler de l’amitié qu’au singulier. Chacune est unique et peu sont éternelles.

 

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