Comment nous séparons-nous ? – Introduction

Le Café Psy du 06.10.16

13563451193_985ed3763c_bPeut-on aborder la séparation sans aborder la question du lien ?

Pour construire un lien profond et authentique, il est nécessaire d’accepter l’idée de le perdre. Autrement dit, vivre avec l’autre n’est possible que si l’on se sent capable de vivre « sans » l’autre.

Mais encore faut-il avoir en soi un sentiment d’identité suffisamment fort et autonome pour ne pas dépendre d’un regard extérieur.

On pourrait presque parler, dans le développement de l’enfant, d’une « éducation » à la séparation.

Premières séparations

La façon dont nous affrontons toute séparation est indissociable des épreuves traversées par le bébé dans sa relation avec sa mère. Ces premières séparations sont d’ailleurs aussi douloureuses qu’indispensables.

Mais si le bébé ne peut faire l’économie de la douleur, il peut être plus ou moins bien accompagné.

Tout d’abord, la séparation doit s’effectuer progressivement, au fil des mois, dans la première année de vie. D’abord fusionnels, les deux membres du couple mère-bébé doivent petit à petit s’autonomiser et trouver, ou retrouver, leur capacité à être seul. Nous disons bien les « deux » membres du couple. Car en effet, l’une des conditions d’une séparation réussie, c’est la capacité de la mère à se « sevrer » elle-même de la relation fusionnelle.

Lorsqu’un accident de la vie ou, justement, la fragilité de la mère viennent, soit précipiter l’éloignement, soit au contraire entraver le processus, l’épreuve de la séparation devient alors trop douloureuse, voire insurmontable pour l’enfant. C’est la construction même de son identité intérieure qui est alors fragilisée. L’équilibre est donc à trouver quelque part entre l’étouffement et l’isolement.

Dialogue intérieur

En tant qu’adulte, une partie très infantile de notre personnalité dialogue toujours avec notre mère interne. Et on pourrait dire que c’est la qualité de cette relation interne qui va définir notre rapport à la séparation.

Mais comment est il possible d’entretenir un lien de ce type à l’intérieur de soi ?

C’est en percevant la continuité de notre identité à travers le temps et les expériences que nous existons en tant que sujet. Et cette continuité de l’identité n’existe que si nous avons assuré la continuité d’un lien à l’intérieur de nous-même. Cela est vrai pour chacun de nos liens, mais le premier d’entre eux, celui qui nous a uni, bébé, à notre mère, est fondateur.

Dans la réalité extérieure, le nourrisson a réellement besoin de la présence effective de sa mère pour construire ce lien. Il ne peut être physiquement séparé d’elle sans vivre un grand danger qui le plonge dans l’angoisse. Pour pouvoir la quitter un jour et explorer le monde qui l’entoure, et ce dès qu’il fait ses premiers pas, le petit doit, d’une certaine façon, « avaler » sa mère. Il doit internaliser ce lien, sentir la continuité d’une présence qui lui assure son sentiment d’identité. Le mot « avaler » est presque à entendre au sens propre : lorsque nous avalons des aliments, nous digérons, nous métabolisons à l’intérieur quelque chose qui vient de l’extérieur. Nous produisons avec les calories d’une chose externe, une chaleur interne.

Partir / revenir

Aux alentours de six mois, le bébé vit une première charnière. Il sort de la symbiose totale. Il a compris que sa mère était un être « séparé », avec une vie propre, qu’elle n’était pas une partie de lui. De là à comprendre que lorsqu’elle s’absente, elle continue d’exister ailleurs, il y a un grand pas qui reste à franchir. Par exemple, jusqu’ici, le bébé ne pouvait jouer qu’avec les objets qu’il voyait. S’ils disparaissaient de son champ de vision, il s’en désintéressait car ils n’avaient plus d’existence à ses yeux. A présent, il s’amuse à les entrer dans sa bouche, à les enfouir sous la couverture, à les faire « disparaître » pour mieux les voir réapparaître. C’est une grande découverte ! Si un objet peut disparaître sans cesser d’exister, une personne aussi. Sa mère aussi. Le couple mère-bébé est alors prêt à changer. Cela coincide d’ailleurs avec les premiers déplacements à quatre pattes. L’enfant peut partir… et revenir. Il sent qu’il n’est plus complètement impuissant face à l’éloignement maternel.

Pour autant, on observe que chaque fois qu’un très jeune enfant s’éloigne de quelques pas, il éprouve dans les minutes suivantes un besoin irrépressible de revenir tout près, de se recoller à sa mère, de resserrer le lien qui vient d’être physiquement distendu. Autrement dit, chaque fois qu’il éprouve la perte d’une chose, le bébé doit vérifier qu’il peut la retrouver et que c’est son choix de la quitter ou non.

A l’inverse, si la mère maintient la fusion trop longtemps, ou si elle s’éloigne trop tôt, l’enfant devient dépendant, et intègre l’idée que le bien est « en l’autre ». Toute séparation deviendra alors un deuil de tous les sentiments positifs et de la confiance en soi, puisque ceux-ci demeurent « en l’autre ».

Et si ça se passe mal ?

Que se passe-t-il lorsqu’un nourrisson est séparé de sa mère avant cette période là, autour de six mois, cette période où il comprend l’identité propre de sa mère et son existence hors de lui ? Il s’agit d’un âge où il n’y a pas d’avant ni d’après, pas d’hier et pas de demain. Le petit ne vit qu’au présent. Il ne pense pas. Il sent. Autant dire que lorsque sa mère s’en va, ne serait-ce qu’une journée, il s’agit pour lui d’une éternité. C’est très long, l’éternité ! Il s’agit donc d’être prêt.

Prenons un exemple : pour apprendre à marcher, l’enfant doit construire ses jambes en cavalant à quatre pattes. Si on le met debout trop tôt, il tombe, il sent sa faiblesse et intègre la peur et la douleur. Pour compenser et se protéger, il mobilise à l’extrême d’autres muscles déjà formés. Il en va de même avec la séparation. Des séparations trop précoces, trop longues ou trop répétées, vont conduire le bébé à mobiliser des défenses psychiques infantiles, qui se sont constituées au départ pour résister à des moments de courte durée et qui vont du coup acquérir un caractère permanent et se retrouver, plus tard, chez l’adulte. Cette protection peut devenir tellement dure, en fonction des évènements de vie dans la première année, qu’elle paralyse le développement naturel de ce qu’elle protège, à savoir l’identité.

La fragilité du bébé se retrouvera chez l’adulte confronté à des séparations de tous ordres qui lui feront immanquablement revivre la sensation d’effondrement qu’il a déjà connue.

Les défenses infantiles

Quelles sont donc ces défenses infantiles dont nous parlons ? Elles peuvent prendre diverses formes dont voici quelques exemples :

  • Attachement excessif à la tétine ou à un objet qui remplace le sein. Nous ne parlons pas ici du doudou qui, plus tard, entre 1 an et 5 ou 6 ans environ, aidera au contraire à symboliser la mère absente et à assurer la continuité dans le cadre d’un processus harmonieux de séparation. La tétine, ou tout objet du même type, n’est pas investie affectivement. Elle ne sert qu’à combler un vide et rassure par sa seule permanence. Adulte, cela pourra se traduire par une grande dépendance affective, ou bien par une difficulté à entrer en lien véritable avec des humains et à surinvestir les biens matériels, le travail, ou toute activité dénuée d’incertitude, ou encore, dans des formes plus extrêmes, à développer des addictions.
  • Somnolence et atonie. Ces bébés-là sont souvent considérés comme sages. Ils ne pleurent pas, ne s’agitent pas. Mais méfions-nous des enfants sages ! Ils se coupent de leur ressentis. Adultes, ils deviendront des êtres absents à leur propres désirs.
  • La suradaptation. Encore un enfant sage et sans problème qui répond à tous les besoins de sa mère et, plus largement, de son entourage. Il continuera, en grandissant, à répondre à la moindre demande sans plus savoir qui il est, prêt à renoncer à lui-même pour ne pas être abandonné.
  • Et encore, l’agitation, qui se traduira par de l’hyperactivité, les somatisations, etc

Et une fois adulte ?

A y regarder de près, toutes ces conduites, dans leur version infantile comme dans leur version adulte, reviennent à se couper de toute émotion consciente par n’importe quel moyen.

Autrement dit, à échapper au manque.

Avec plus ou moins de puissance, elles ressurgissent dès qu’il s’agit de faire face à n’importe quelle séparation. Cela va du deuil d’un proche à l’égarement d’un objet de valeur sentimentale, en passant par toutes les pertes imaginables qui jalonnent nos vies.

Le manque, ou même la simple perspective du manque, risque alors de déclencher un sentiment d’anéantissement intérieur qui peut aller jusqu’à la dépression. Et ceci est en réalité sans rapport direct avec les émotions de tristesse ou de colère, parfois très profonds, qui accompagnent tout deuil, réel ou symbolique.

Bien sûr, tout ne se joue pas avant six mois. De nombreux liens et évènements de l’enfance peuvent venir moduler, réparer, compenser, ou aggraver aussi, ces processus de développement. Et il ne s’agit pas non plus de culpabiliser toutes les mères qui ont mis leur enfant à la crèche. Nous ne sommes pas dans le registre de « la faute », même si parfois on rencontre des mères réellement défaillantes. Un séjour en couveuse, la nécessité financière de retravailler rapidement, une maladie de la mère ou de l’enfant, une relation conjugale difficile… les accidents de la vie ne manquent pas. Nous avons donc tous, à des degrés divers, des difficultés à nous séparer, au delà de la douleur naturelle liée à la perte et au manque. C’est de ces difficultés que nous parlons ce soir, de l’effondrement qui nous guette parfois et du sentiment de perte d’identité que nous pouvons ressentir lorsque nous nous séparons de l’autre.

Ce contenu a été publié dans Introductions. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *